Publié le 18/01/2023 à 18h00
Valérie Mazerolle
Manque de moyens financiers des clubs, sexisme, médiatisation, statut professionnel des joueuses. Il y a dix ans, les 16 et 17 mai 2013, Bourges s’était imposée comme la capitale d’une réflexion sur les grands enjeux du sport féminin, à l’occasion des premiers États généraux du sport féminin organisés par le club Tango Bourges Basket. Soutenu par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et Valérie Fourneyron, ministre des Sports, cette édition, ce premier acte, avait abouti, pour que la dynamique créée dans le Cher ne retombe pas, à la publication d’un Livre blanc. Soixante propositions pour développer le sport féminin avaient été émises. Soixante propositions pour dessiner un virage, engager une nouvelle vision, une nouvelle représentation, collective.
 
Dix ans se sont écoulés et Bourges endosse à nouveau, pour trois jours, le statut de haut lieu d’une réflexion sur le sport féminin. À cette occasion, nous avons rencontré Aurélie Bresson, fondatrice du magazine sportif au féminin Les Sportives et présidente de la Fondation Alice Milliat, première fondation européenne dédiée au sport féminin représentée au comité consultatif du conseil de l’Europe.
 
États généraux du sport féminin à Bourges, le retour
 
Quels sont les enjeux, pour vous, de ces États généraux du sport féminin à Bourges ?
Il s’agit de faire renaître cette flamme créée il y a dix ans avec les États généraux collectifs du sport féminin. Il n’y en a pas eu depuis. L’objectif est bien de créer là un espace de revendication, de rassemblement, et de faire le bilan. Il est en effet important de mesurer ce que nous avons traversé, construit au cours des dix dernières années, de mesurer ce qui reste à bâtir. Il y a beaucoup d’attentes. Car les espaces d’expression, qui permettent de rassembler des experts, des sociologues, sont rares.
Ces États généraux doivent permettre de fédérer, de créer une émulation positive et de créer un trait d’union avec les événements qui suivent : la Semaine Sport et femmes à Bourges, la journée internationale du sport féminin le 24 janvier, et très prochainement l’annonce de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), du ministère des Sports et du ministère de l’Égalité de l’opération “Sport féminin Toujours” incitant les médias à consacrer plus de retransmissions sportives, d’interviews, de portraits et de sujets d’émissions au sport féminin.
 
Il n’y a pas eu, depuis dix ans, un moment comme celui-ci, où on se pose et on fait le point ?
Pas du tout, il y a des initiatives locales, des conférences “sport et femmes”… C’est un sujet qui vient en transversalité quand il y a, par exemple, une journée dédiée à l’engagement associatif. Quand Paris 2024 parle de la parité aux Jeux olympiques et paralympiques, on en parle également. Il y a des conférences, des tables rondes, des initiatives locales un peu parsemées, ou des initiatives du CNOSF (Comité National Olympique et Sportif Françaissur les femmes dirigeantes, mais trois jours où en enchaîne des colloques, des conférences, des ateliers de travail, concrètement, il n’y en a pas eu depuis dix ans.
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Etats généraux du sport féminin à Bourges en 2013 : la moitié des sportifs sont… des sportives
 
2013 a vu l’élaboration d’un Livre blanc, bâti autour de soixante propositions pour le sport féminin en équipe. Dix ans après, dans quelle mesure ces propositions sont-elles devenues des concrétisations?
Quand on relit les soixante propositions, on constate que du chemin a été fait. Mais il y a des choses qui reviennent, forcément. On se dit sur ces points-là, on n’a pas avancé. Il y a eu de très belles propositions, bien construites. Dans le sport féminin, il y a la théorie des petits pas. Une décennie, ça peut paraître long, mais ce n’est pas beaucoup au regard de la lenteur de progression et de développement du sport au féminin.
Si ce genre d’événement s’installe avec récurrence, peut-être tous les deux ou trois ans, cela permettrait de faire un point régulier et d’accélérer les choses. C’est le but d’ancrer ce genre d’événement pour montrer qu’il y a nécessité de rassembler des experts pour travailler sur de la recherche et montrer qu’il y a beaucoup d’enjeux de développement. Il faut y aller ensemble, hommes et femmes. C’est vraiment ce qu’on tient à préciser sur cet événement.
On n’est pas sur un haut lieu de sport féminin par les femmes, pour les femmes. Mais vraiment sur un haut lieu de réflexion entre les hommes et les femmes qui s’engagent pour développer la pratique sportive féminine, la gouvernance dans le sport, tous les droits des femmes dans le sport, et le rayonnement des sportives dans la société.
 
Sarah Abitbol, ancienne championne de patinage artistique : « un honneur de donner mon nom » à la patinoire de Bourges
 
Quels freins à la montée en puissance du sport féminin et à sa reconnaissance avez-vous identifiés ?
Les freins sont liés à l’histoire. Quand on parle d’Alice Milliat, la grande pionnière du sport féminin français, on se rend compte qu’aujourd’hui c’est encore un réel combat. Les plus gros freins sont ceux de la société, des préjugés quotidiens. Les freins, c’est aussi une gouvernance qui change très peu, c’est un modèle sportif très lourd. Tout n’est pas à jeter, mais tout est à faire évoluer sur la gouvernance, sur le modèle de gouvernance, sur l’engagement associatif, et surtout sur la notion d’engagement. Et c’est aussi ce qui est puissant sur ces États généraux du sport féminin, c’est cette notion d’engagement. 
L’attribution des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 est une fenêtre incroyable pour le sport féminin. Chaque olympiade s’accompagne par une avancée dans le sport féminin derrière, pour la pratique notamment, et pour d’autres sujets sociétaux.
 
Quelles avancées depuis dix ans ?
On a eu de belles avancées. En termes de professionnalisation, clairement. En termes de gouvernance également. On a la direction des sports la plus féminine d’Europe et peut-être du monde, je dirais. Entre la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques Amélie Oudéa-Castera, la présidente du Comité paralympique et sportif français Marie-Amélie Le Fur, la présidente du Comité national olympique et sportif français Brigitte Henriques… Au sein de l’Agence nationale du sport, il y a beaucoup de femmes à des postes clefs. C’est très important, ce sont de grandes avancées. 
Il y en a d’autres : sur la question de la maternité, avec un guide publié par le ministère des Sports, sur le sujet du genre, sur la prise en compte des cycles menstruels. L’attribution des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024 est une fenêtre incroyable pour le sport féminin. Chaque olympiade s’accompagne d’une avancée dans le sport féminin, pour la pratique notamment, et pour d’autres sujets sociétaux. 
Par exemple, lors les JO de Rio en 2016, il y a eu l’intégration de la boxe féminine. Le fait qu’Aurélie Mossely et Sarah Ourahmoune soient arrivées championne et vice-championne olympique, s’est traduit par une hausse des inscriptions en boxe féminine à la rentrée. C’est une fenêtre incroyable de visibilité pour la pratique du sport et du spectacle, ça fait rêver, et le sport féminin a besoin de rêve.
 
Le magazine Les Sportives a été créé en 2016 par Aurélie Bresson. 
 
En terme de médiatisation, où en est-on ?
J’ai l’impression parfois que l’on régresse en médiatisation audiovisuelle. Je suis toujours surprise, quand j’écoute la radio, qu’il y ait si peu de sport féminin. Mais il y a parallèlement des initiatives sur les réseaux sociaux. Des sportives elles-mêmes se mettent à créer leur propre média, produisent de plus en plus de contenus. Elles deviennent des influenceuses… C’est une fenêtre de visibilité incroyable. Les records d’audience lors de matches des équipes nationales de rugby ou de foot ne sont pas suffisantes. Il faut créer une récurrence. C’est par la récurrence que le sport féminin s’installera pleinement sur la durée.
 
Parmi les propositions du Livre blanc, il y avait une volonté de voir davantage de place pour le sport féminin dans la presse féminine. Est-ce le cas ?
Il y a vraiment des avancées là-dessus. Par exemple, Causette, magazine très féminin et féministe, a sorti un numéro spécial cette année sur le sport féminin, avec en couverture Serena Williams. Ils ont fait toute une journée de débats, de colloque, c’était vraiment très chouette. Il y a aussi Marie-Claire, qui a fait une rubrique sport féminin, et qui a dit “avec les Jeux, on ne peut pas louper ce coche de parler de sport et femmes, mais de sport en sortant des carcans de beauté habituels”. C’est encore un peu compliqué pour certains médias féminins de sortir de ces carcans de beauté et de l’idée de “rentrer dans son bikini l’été”. Pourtant les équipementiers évoluent énormément sur les équipements adaptés aux femmes.
En dix ans je pense que la prise en compte des spécificités de la femme a été une des plus grandes avancées.
Même s’il y a encore des avancées à faire. L’exemple du beach volley avec des tenues de bikini en fait partie. De plus en en plus de sportives s’engagent, revendiquent, se positionnent sur des sujets, comme la maternité. Elles prouvent, par leurs témoignages et leurs engagements que l’on peut être maman, accoucher pendant sa carrière d’athlète, et revenir à son plus haut niveau. C’est très important de montrer que c’est possible, qu’il ne faut pas avoir ces peurs-là, qu’il faut s’accrocher. Je pense qu’on est à un point où ne peut plus faire de retour en arrière. On est assez mobilisés aujourd’hui. Grâce aux réseaux sociaux et aux médias, les sportives peuvent s’exprimer pour ne pas revenir en arrière. Il y a plus de vigilance qu’il y a dix ans, aussi.
 
Quel avait été le déclic pour créer Les Sportives ?
Je ne suis pas une sportive de haut niveau. Je suis une sportive convaincue. Je dis souvent que je suis une sportive de passion et de convictions. Mes parents sont des personnes très engagées associativement. Quand j’étais bébé, ils m’ont baladée dans la poussette sur des rallyes… J’ai une famille très impliquée dans l’associatif, en organisation et co-organisation d’événements. Les week-ends et soirées étaient occupés à refaire le monde à travers le milieu associatif. Et je pense que j’ai gardé ça, ce côté engagement, croire en des valeurs de ce que le sport peut apporter au niveau social et sociétal.
La performance m’intéresse, et j’ai grandi avec des athlètes de haut niveau. Mes meilleures amies étaient des handballeuses. En faisant mes études, en observant leur quotidien, en étant en immersion avec elles, je me rendais compte qu’au lieu de faire leur DUT en deux ans, elles le faisaient en trois ans. Ça me posait question. Le midi, elles ne venaient pas déjeuner au restaurant universitaire, et le soir elles ne faisaient pas les soirées étudiantes. Je me disais “comment ne peuvent-elles pas vivre leur vie de femme et d’étudiante ?” Pour moi, c’était des sacrifices, pour elles c’était des choix. Et en plus, elles étaient en haut de classement puisqu’il s’agissait de l’ESBF (Entente sportive Besançon féminin, NDLR). Je me suis dit : “on ne parle pas assez d’elles, c’est fou”. J’ai commencé à creuser la question puisque j’ai beaucoup travaillé dans le sport. Je travaillais pour le Tour de France, pour l’UNSS (Union nationale du sport scolaire). Jusqu’à ce que je me jette à l’eau avec Les Sportives. J’ai sorti Les Sportives en me disant “on verra ce que ça donne”. Sauf que je ne m’attendais pas à ce que ça marche.
 
Je bois, je mange, je me réveille sport féminin. J’ai deux leviers assez importants et puissants : la fondation et le média. Je construis tout ce dont j’ai rêvé, je ne me mets aucune limite. Et si je me plante, c’est que ça ne marche pas, et je rebondis.
 J’ai toujours cette image du sport qui est une parallèle de l’entrepreneur : je monte sur la poutre, je peux tomber dix fois de la poutre, m’écorcher, il faut que je remonte et que j’aille jusqu’au bout. C’est cette vision-là du sport que j’aime. On peut se planter, il faut toujours aller au bout des choses. Sur Les Sportives et le sport féminin, je serai toujours aussi engagée et convaincue. Tant que je ne serai pas allée au bout de tout ce dont j’ai envie d’essayer. Je pense que j’ai aussi la fougue de la jeunesse. 
 
Vous êtes de Besançon mais avez écrit une histoire singulière, forte, avec le Centre-Val de Loire…
Le Centre-Val de Loire est mon premier territoire d’expérimentation pour une territorialisation. Le média Les Sportives, créé il y a dix ans en magazine, est devenu un média en ligne. Puis on a fait beaucoup de podcasts, on a fait des contenus diversifiés. Depuis septembre je suis passée du débat, à travers le média, à l’action par un recrutement en Centre-Val de Loire, pour activer l’accompagnement, la formation, sur la féminisation. Les Sportives se territorialisent pour être au plus près d’un accompagnement de proximité et accélérer cette féminisation vers la mixité.
Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est de pouvoir mesurer l’état de santé du sport féminin. Il manque encore cruellement de recherche, de données.
 
Le Centre-Val de Loire est le premier territoire à se positionner pour cet accompagnement d’accélération de la place du sport féminin. Tous les acteurs réunis il y a moins d’un an y ont cru tout de suite. La Région Centre-Val de Loire, la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports, Orléans, Bourges, ont dit “on y va, on croit au fait qu’il faut une accélération”. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est de pouvoir mesurer l’état de santé du sport féminin. Il manque encore cruellement de recherche, de données. C’est par des données cohérentes et concrètes qu’on mesurera d’autant plus précisément l’état de santé du sport féminin aujourd’hui. Il y a une telle disparité entre les territoires. L’idée des Sportives c’est d’avoir cette objectivité, et d’avoir cette double casquette entre l’égalité et le sport. On rentre dans le sport par le prisme de l’égalité. C’est de là que vient la solution.
 
Propos recueillis par Valérie Mazerolle
Le sport par, et pour, les femmes est également à l’honneur à Bourges du 15 au 24 janvier, lors de la Semaine du sport et des femmes. Elle culminera ce mardi 24 janvier avec la Journée internationale du sport féminin.
Le programme de jeudi et vendredi
 
 
9h – 10h – Conférence – Genre et Sport féminin
Anais Bohuon – Historienne du sport spécialiste du genre
Tess Harmand – Présidente de la fédération française de quidditch
10h30 – 11h30 – Conférence – La maternité pour les athlètes de Haut niveau
Alice Meignié – Chercheuse INSEP sur le projet EMPOW’HER
14h – Introduction aux grands enjeux du sport féminin

5 Ateliers :
8h30 – Accueil
9h – 10h – Conférence – La professionnalisation des femmes autour des métiers du sport
Intervenantes : Joëlle Monlouis, Avocate en droit du sport
Patricia Moyersoen, avocate de clubs sportifs, les sportifs professionnels, les agents sportifs ainsi que les fédérations sportives nationales et internationales
Grand témoin : Thibaut DAGORNE, co-secrétaire général de la Fédération des Entraîneurs Professionnels
10h30 – 11h30 – Conférence – Rendre l’espace public attractif et sportif pour tous et toutes
Nicolas Lovera – Co-fondateur Playgones
14h – Mini conférences flash de 30 minutes :
•    Agents d’images dans le sport féminin
Caroline Angelini – Agent d’images (Allison Pineau, Mélina Robert Michon…)
•    Journalistes sportives
Mejdaline Mhiri – Association des Femmes Journalistes Sportives
•    Médiatisation et Communication autour du sport féminin
Vanessa Tomaszewski – Champions du digital

16h – Discours de clôture des états généraux
Yann Galut – Maire de Bourges
François Bonneau – Président de la Région Centre-Val de Loire
Isabelle Rome – Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances
19h – Soirée de clôture et remise des trophées du sport féminin de la Ville de Bourges – Salon VIP du palais des sports du Prado – Rue du Pré Doulet
1 commentaire
marie Françoise Lelong a posté le 18 janvier 2023 à 19h25
Il y a trop de fric dans le sport ça ne fait pas rêver
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