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Le France-Irlande fut sauvage, acharné, intense et globalement magnifique. Dès lors, va-t-il nous falloir apprendre à régulièrement manger du caviar, après avoir bouffé des cailloux dix ans durant ?
On ne sait pas vraiment à quoi correspond « l'habitude », chez le capitaine irlandais James Ryan. Et on ne veut même pas le savoir, de peur de ne plus jamais regarder le rugby de la même façon. Samedi soir, alors qu'un bougre lui demandait à quel point ce France / Irlande avait été intense, brutal, dément, le malabar irlandais répondit donc, dans un haussement d'épaules et presque étonné du côté saugrenu de la question : « C'était intense, oui. Mais pas plus que d'habitude, en fait ». On s'attardait alors sur la bouille poupine du deuxième-ligne, essayant de comprendre s'il se foutait ouvertement de nous. On se demandait si le dernier déplacement de sa province du Leinster, à Newport, avait vraiment ressemblé à ce que nous venions d'admirer dans une extase coupable, se promettant le cas échéant de désormais bâfrer de la ligue celte (ou quel que soit le nom de la foutue usine à gaz qu'ils ont créée là-bas) jusqu'à l'overdose…
Ecoutant le Supremo des Diables Verts et voyant, à ses côtés, l'ancien treiziste Andy Farrell acquiescer du chef, on se repassait mentalement les images de cette rencontre : on revoyait Julien Marchand et son quintal en plomb exploser après un plaquage virulent de son vis à vis, Ronan Kelleher ; on visualisait le même Kelleher, sorti du terrain à la 25 ème, l'épaule endommagée par une bigne de Grégory Alldritt ; on se refaisait le film d'un match où Bundee Aki et Gaël Fickou s'étaient rendus coup pour coup, un spectacle où Anthony Jelonch et François Cros avaient rongé la carcasse du paquet d'avants le plus costaud du Tournoi, dans un ballet si rythmé qu'il n'était pas rare que ses actions, usant les corps, comptent dix temps de jeu et six turn-over, pour servir un show rythmé comme une gigue irlandaise et qui connut, comme pinacle, ce tête à tête entre Uni Atonio et Tadhg Furlong, poids lourd contre poids lourd, Fury / Wilder mais sans les gants. C'était bon, c'était beau et c'était probablement ça dont Fabien Galthié parlait, lorsqu'il exhortait ses Bleus à « toucher au sublime » et répondre à la provocation sans couteaux ni revolvers, mais avec une « rudesse toute gauloise », un don de soi confinant au sacrifice. « On a su répondre au combat que proposaient les Irlandais, disait François Cros en conférence de presse. Mieux, on a souvent renverser ces joueurs hors-normes ».
Il y eut avant, pendant et après ce France-Irlande tout un glossaire de la guerre, ou tout au moins du combat. Il y eut d'abord l'ultimatum, prompt et clair, lancé par ce même James Ryan avant l'attaque : « Nous allons réduire le Stade de France au silence ». Il y eut les mots, au jour de la remise des maillots, d'un Gabin Villière plus enragé que jamais depuis le séjour du XV de France chez les légionnaires, à Aubagne : « La guerre, je vais l'animer. Je suis prêt » . Il y eut l'assaut français, le contre-assaut irlandais, une Marseillaise lancée au bout de douze minutes par les 78 000 spectacteurs de Saint-Denis, la fierté, l'espoir, la peur et l'explosion, au bout du bout, dans cette enceinte qu'on a si longtemps pensée frigide par nature, quand cette équipe de France semble pourtant lui avoir offert ces derniers mois une deuxième jeunesse, un second souffle. Il fallait d'ailleurs les voir, les rescapés de la ligne 13, les jules ayant esquivé le « convoi de la liberté » pour gagner tant bien que mal le Nord de Paris : comme ce fut le cas après la dernière victoire des Bleus face à la Nouvelle-Zélande (40-25), le public du « SDF » resta ainsi longuement sur le lieu de la bataille, si longtemps qu'au bout d'une demi-heure, la foule qui se disperse habituellement en cinq minutes chantait encore, en tribunes et par -12, du Joe Dassin ou du Charles Aznavour.
C'était un pur élan d'amour, un accès de gratitude, de la part de ceux qui ont reçu, envers ceux qui avaient tant donné. Passé l'affrontement, on se demandait d'ailleurs à quel point Dupont et ses collègues devaient être mâchés, usés, fourbus. On se demandait quelle part d'eux-mêmes avaient-ils laissé dans ce spectacle sauvage et de toute beauté. On se rappelait, in fine, ce que nous disait Gaël Fickou peu avant que le Tournoi ne débute : « Physiquement, on laisse beaucoup de plumes dans le rugby moderne. Le dimanche matin, tu as l'impression qu'un bus t'a roulé dessus. Le lundi, tu n'arrives toujours pas à marcher. Moi qui suis pro depuis dix ans, je peux vous jurer qu'il y a beaucoup plus de rythme aujourd'hui qu'à mes débuts. Ce n'est pas prétentieux que de dire cela : au-delà d'être costauds, les rugbymen d'aujourd'hui vont très vite. On enchaîne huit ou neuf temps de jeu quand dix ans en arrière, on marquait après trois rucks ».
Samedi soir, le XV de France n'a pas seulement mis fin à une série de neuf victoires du XV du Trèfle, quatrième nation mondiale. Il s'est une nouvelle fois transformé en cette créature hirsute, sanglante, féroce qui avait déjà englouti la Nouvelle-Zélande et réapparaît cycliquement, dès lors que l'évènement s'y prête. « Les joueurs ont des convictions, dit Fabien Galthié. Ca nous permet de traverser des moments difficiles. Il y a dans cette équipe une vraie solidarité ; aucun joueur ne se sent en difficultés lorqu'il se trompe. Ca enlève un sentiment de pression. » Ca « enlève un sentiment de pression », donne un supplément d'âme et change les hommes en lions. Osera-t-on encore demander à Galthié le retour de Bernard Le Roux dans un pack où Cameron Woki pousse en mêlée comme un deuxième-ligne, court autant qu'un flanker et saute aussi haut qu'un lapin ? Rira-t-on encore de la bonhomie d'Atonio, de la rondeur de Willemse, de l'indolence de Jelonch quand ceux-là plaquent un homme comme on abat un arbre ? Non. Cent fois non. Malgrè tout, on sait pour l'avoir vue que l'Ecosse, moins gironde que ne veut bien le faire croire la bouille engageante de Finn Russell, tentera comme elle l'avait fait en 2020 de détourner la « rudesse gauloise » contre ceux qui en usent, multipliant les provocations dans les zones de contact, cherchant finalement lequel des Tricolores pourrait succéder à Momo Haouas et Jamie Ritchie, dans le remake de « Deux hommes, une gaufre et un rouge ». Parce qu'il paraît que pour les Bleus, le plus dur commence. Sans blague ?
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