Thomas Ramos : Oui on a forcément appris à se connaître. Je dirais que Ange est peut-être le plus français des Italiens qui existent. Il a quand même beaucoup de ressemblance avec notre manière de fonctionner. Il est assez discret mais au fond, il aime bien un peu chambrer de temps en temps. Il est apprécié dans le groupe à Toulouse, il a réussi à se faire sa place rapidement. Donc ça montre que c’est une belle personne
Ange Capuozzo : C’est apprécié. Pour l’anecdote on habite pas très, très loin avec Thomas et c’est un des premiers à être venu me voir le jour où j’ai emménagé. C’est le genre de détail appréciable. Sinon, Thomas, il faut être dans son équipe à l’entraînement. Et après, si t’es avec lui, tout va bien (rires)
TR : Tu es sûr que tu gagnes !
AC : Voilà ! Déjà, tu es sûr que tu gagnes et en plus il a l’ancienneté au club, donc de temps en temps, l’arbitre, il siffle plus dans son sens… donc c’est mieux !
AC : Sa grinta! Que je ne peux pas trop avoir car moi, il vaut mieux que je me fasse discret. Si je ne me fais pas discret je peux vite m’attirer les foudres et je n’ai pas envie de me les attirer… sa grinta car il a une façon de jouer qui, je pense pour les adversaires leur fait se dire: “ça va être compliqué”. Il est technique, mais il peut nous mettre un coup de casque, un coup de pied en petit pont… c’est là-dessus où c’est dur, on a l’impression qu’il peut nous prendre un peu de partout.
TR : Sa vitesse. Moi je prends de l’âge (sourire), donc j’avance un peu moins. On l’a vu sur les matchs, Ange c’est quelqu’un qui va vite et quand tu joues derrière, aller vite ça peut toujours servir. Donc j’aimerai le challenger là-dessus!
TR : C’est aussi dû à nos gabarits je pense. On n’est pas des grands joueurs, très costauds. Donc forcément on essaye d’éviter le contact et plutôt que d’y aller, ce jeu d’évitement. Puis après, à Toulouse, on est baigné dans le jeu des turnovers, des contre-attaques. Il y a beaucoup de jeux à l’entraînement entre trois-quarts qui sont basés là-dessus. Donc forcément, dès qu’il y a un petit ballon qui traîne, une opportunité, je pense que les premiers appuis, les premières paroles que l’on entend autour de nous font qu’on sait qu’on peut déclencher une contre-attaque ou qu’il y a un espace devant nous. Voilà comment moi je le ressens.
AC : La confiance collective est importante. C’est-à-dire ce que les autres peuvent attendre de nous. Et quand on a conscience que ça fait partie de nos points forts, forcément on va être un peu plus attiré par ce moment-là. Après je pense que ça va être plus instinctif, mais on va devoir avoir la lucidité de ne pas le faire tout le temps. Mais c’est vrai que ce petit moment, quand on le ressent, c’est notre moment où l’on se dit qu’on va y aller à fond et qu’on va apporter cette petite touche personnelle pendant le match.
AC : Quand on passe le premier défenseur. Après, ça peut très vite s’enchaîner. Particulièrement à Toulouse, où il y a des soutiens de partout, tout le monde fait des efforts.
TR : Je trouve aussi qu’être au début d’une contre-attaque, mais pas forcément la terminer, et voir de derrière la fin, c’est aussi prendre du plaisir de contribuer à un essai ou une belle action. Quand tu as un stade plein et que tu contre-attaques… on est aujourd’hui dans un rugby de beaucoup de jeu au pied car il y a de plus en plus d’enjeux, mais quand tu peux te permettre certains moments de rugby comme ça, c’est forcément prendre du plaisir sur le terrain.
AC : Oui. Lors de la dernière tournée avec l’Italie, on a essayé de mettre en place certaines choses et elles ont fonctionné. Car à un moment du match, avec le rythme très élevé, la fatigue, le niveau technique globale, tout ça fait qu’on peut plus facilement se démarquer. Ça ouvre certaines portes.
TR : Mais maintenant, Ange va avoir les défenses sur son dos quand même (sourire). Je pense qu’à force de traverser le terrain, les mecs vont se le mettre dans le viseur (il rigole).
AC : Il faudra que je me gaine, c’est ça (rires)?
TR : Ma première sélection, c’est au Tournoi des VI Nations (en Angleterre, le 10 février 2019). C’était une défaite mais c’est là où j’ai démarré avec l’équipe de France. Ça reste une super compétition qu’on a eu la chance de gagner l’an dernier. Que des gros matchs, accrochés, pas un seul match facile et c’est ce qui fait la beauté de cette compétition. Et quand tu vois la ferveur, quand tu te déplaces en Ecosse, au Pays de Galles, où même en France où on se régale de jouer, c’est quand même appréciable.
AC : C’est la magie. Et ça apporte une parenthèse dans la saison, qui est différente. Avec des joueurs qu’on a pas trop l’habitude d’affronter durant l’année. Une parenthèse assez magique à vivre. Et puis il y a l’aspect sportif, mais aussi l’aspect passionné : on rentre dans des endroits assez mythiques. Et puis il y a une certaine magie aussi avec les maillots. Le Pays de Galles en rouge, les Irlandais en vert (il martèle avec son poing)…
AC : bah, déjà on sait qu’on est préparé à six semaines très compliquées, très dures. On a envoyé des signaux très positifs cette année et les équipe vont nous jouer très sérieusement et nous attendre de pied ferme. Donc on se prépare comme un outsider qui va tenter sa chance à chaque match. Après, c’est un peu la roulette, on sait comment se déroule un match, on ne sait pas à l’avance ce qu’il va se passer. Mais on va se préparer à chaque rencontre pour remporter des victoires.
TR : A l’intérieur du groupe, les objectifs seront forcément hauts. Et à l’extérieur, il va y avoir énormément d’attente. On est sur une série de victoires, on est vainqueur du Tournoi passé, donc on va être attendu partout. Les déplacements vont être très durs et chez nous, les équipes ne vont pas vouloir nous faire de cadeau. Donc voilà, on s’attend à un Tournoi pas facile. Il va falloir être sérieux pour espérer le gagner une seconde fois.
TR : ah c’est sûr. Les groupes sont forcément resserrés. C’est trente-trois joueurs pour partir à la Coupe du monde. Arriver à s’imposer au Tournoi, c’est aussi, sauf blessure ou mauvaise performance, se projeter sur la Coupe du monde. C’est tous les quatre ans, c’est rare, donc bien sûr que beaucoup de joueurs y pensent.
Ange, affronter la France et éventuellement la battre, c’est à part dans ce Tournoi pour l’Italie ? On vous présente un peu parfois comme des cousins…
AC : Oui. Cousin, coéquipier, moi je suis presque tout. Bien sûr que cela va être un match à part. Alors si je parle juste de mon cas, ça va être exceptionnel. Parce que j’avais eu la chance d’être 24e au Stade de France l’an passé et de goûter un peu à l’atmosphère. C’est sûr que ça va être un match à part. Alors c’est sûr que je ne chanterai pas l’hymne français (il sourit), même si je l’ai chanté beaucoup de fois en soutenant l’équipe de France auparavant. Je serai à cent pour cent italien à ce moment-là, ça va être une expérience incroyable. Et collectivement, on va jouer le tenant du titre. Donc forcément, premier match, à domicile, pour nous c’est un moment qui va être important pour la suite du Tournoi. Nous sommes en réel progrès, mais il ne faut pas non plus se mettre une pression en se disant que si on a un échec au premier ou deuxième match, il faut tout annuler. On est en progrès, il faut garder ce terme-là.
TR : Sur les dix dernières années, les matchs face à l’Italie sont souvent accrochés. Alors on peut faire un comparatif en se disant que la France est peut-être un pays plus au-dessus niveau rugby, notamment les clubs, mais si on se met à leur place, moi si j’étais italien, jouer la France chez moi, en ouverture du Tournoi des VI Nations, je serais transcendé. Donc on sait à quoi s’attendre. Ce sera forcément dur et il faudra répondre présent dès le début du match.
AC : Et puis il y a de plus en plus d’Italiens qui jouent dans le championnat français. Donc ça ajoute quelque chose en plus en terme de stratégie. On commence à se connaître, peut-être que nous sommes plus décomplexés. Il n’y a plus cette différence, où on se dit : « c’est très loin ce qu’on voit de l’équipe de France ». Il y a une certaine proximité qui peut nous décomplexer.
AC : Non. Je ne peux même pas me poser la question de savoir si je peux avoir des regrets. Déjà envers un pays, qui est une institution encore plus haute qu’un club. On représente un pays, des gens qui nous suivent. Et pour moi c’est important de montrer du respect envers ça. Et puis je n’ai pas de regret car ça fait partie de ma vie. J’ai été sélectionné avec l’Italie en moins de 20 ans alors que je n’étais même pas au centre de formation de Grenoble (son ancien club, ndlr). Donc ce que j’ai aujourd’hui, je leur dois sûrement. Pas qu’à eux, mais je leur en dois une partie. Donc non, zéro regret et encore une fois, ces moments sont magiques. Donc je ne vais pas du tout cracher dessus.
AC : Plus du tout je crois (il éclate de rire)!
TC : Je ne pense pas! ça fait ch… c’est sûr que c’est quelque chose de particulier, mais après, c’est ce qui fait la beauté de notre sport. Etre ensemble au quotidien et un jour dans l’année se rencontrer. Je l’ai vécu avec Cheslin Kolbe, face à l’Afrique du Sud. Des personnes avec qui tu gardes de bons souvenirs et de jouer face à eux, ça fait bizarre. Et en étant encore plus coéquipier et au quotidien ensemble c’est un peu particulier. Mais c’est cool (sourire). Et comme dit Ange, c’est important de connaître son adversaire. Ça te met en alerte. Après, un avantage, un inconvénient, je ne sais pas, mais en tous cas, c’est sûr que ce serait sympa.
AC : Non, je ne vais pas m’aventurer là-dedans moi… ça c’est un coup à ce qu’un mec de l’équipe e France en connaisse plus que moi et c’est moi qui vais me faire chambrer après. L’Italien, je le laisse pour les cours pour le moment et au sein de l’équipe.
TR : Si je le vois juste me parler avec les mains (il mime)…
AC : ouais, à la limite.
TR : Là je vais comprendre qui me parle italien (rires)
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