Au rugby, la porte est basse pour entrer en mêlée. Mais parfois, ça vole haut. En franc-maçonnerie, c’est pareil. Ce n’est pas un hasard si, en France, neuf loges maçonniques sont dédiées au rugby.
C’est sous l’égide d’un franc-maçon anglais que les règles de ce sport ont été édictées en 1845, en coconstruction avec les élèves du collège de Rugby, quelques années après l’acte transgressif de Webb Ellis qui, lors d’un match de foot en 1823, saisit le ballon à pleines mains, couru vers le but adverse et plongea derrière la ligne. On raconte qu’il réclama un point pour son équipe et que le professeur arbitre releva ce manquement à la règle tout en félicitant ironiquement son jeune élève par un "good try. Bien essayé. Un essai transformé quelques années plus tard à l’initiative de Sir Thomas Arnold, proviseur de l’établissement et franc-maçon, comme l’explique Pierre Hournarette, le Grand maître de la GLNF d’Occitanie, qui interviendra sur le débat "rugby et fraternité", ce dimanche, au 7e Salon maçonnique de Toulouse.
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Première règle à savoir… En maçonnerie comme au rugby, tout est symbole. Le ballon ovale d’abord, "qui représente la vie profane avec tous ses rebonds capricieux". La forme du terrain ensuite, "deux carrés côte à côte (en-but compris), avec un point au milieu qui représente le fil à plomb des bâtisseurs", et deux perches qu’il faut dépasser pour aplatir en terre promise.

"Les deux poteaux représentent les colonnes du temple de Salomon. Ramenées à une taille raisonnable, on les retrouve à l’entrée de nos temples, comme la barre transversale sous laquelle on se baisse pour aplatir et qui symbolise l’humilité", explique Pierre.
Autrement dit, si Twickenham est "le Temple du rugby", il a beaucoup essaimé et tout stade de rugby qui se respecte peut être considéré comme un temple du rugby si l'on en croit les francs-maçons. Que Sapiac (Montauban), Jacques-Fouroux (Auch), Ernest-Wallon (Toulouse) et les autres se le disent… Pas de complexe!
Humilité encore avec ce ballon qui doit systématiquement être transmis derrière pour avancer. Comme le disait Pierre Albaladéjo, "le rugby, c’est un jeu qui n’accepte pas le je".
Jean Abeilhou confirme. Journaliste sportif à France télévision, il avoue bien volontiers ne rien connaître à la franc-maçonnerie. En revanche, il pourrait parler d’ovalie pendant des heures. "Le rugby, c’est le sport collectif par excellence qui génère un lien fraternel, s’enthousiasme Jean Abeilhou. Dans tout autre sport collectif, un joueur de talent peut faire gagner son équipe. Mbappé peut prendre le ballon, traverser le terrain, marquer et gagner seul. Au rugby, ce n'est pas possible. Chaque séquence commence par de la conquête, un ballon à gagner. À chaque poste sa morphologie. Il faut des petits, des grands, des trapus… et donc un lien fraternel très fort entre les joueurs. Sinon, ça ne marche pas. Un pilier ne peut pas jouer à l'aile, un trois-quart ne peut pas être pilier. Les 15 joueurs ont besoin des autres, ils ne peuvent pas gagner tout seul. Il faut être frères, quoi. Et ce sont les règles de ce jeu qui génèrent ça."
Des règles qui veulent qu’on ait forcément tous les copains (ou les copines) derrière pour avancer. Tout comme les bâtisseurs de cathédrale avaient besoin de l’engagement de tous – tailleurs de pierre, fabricants de vitraux, charpentiers… – pour construire leur grand œuvre.
En passant de l’opératif au spéculatif, les francs-maçons ont commencé à bâtir des temples eux aussi, pour leurs tenues symboliques. Sur le pré, ils sont simplement passés aux travaux pratiques, "pour éduquer de manière ludique la jeunesse anglaise aux valeurs de la franc-maçonnerie". Une maçonnerie qui a mis un certain temps à évoluer, comme le rugby, puisque les deux se sont ouverts aux femmes tardivement. Mais le rugby féminin a fini par entrer par la grande porte dans la petite lucarne du PAF, tout comme les femmes ont fini par pousser la porte des temples pour être "initiées" au même titre que les hommes.
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Petit clin d’œil de l’histoire, l’obédience de Pierre Hournarette est fille de la Grande loge unie d’Angleterre, ce qui vaut aux membres de la GLNF d’être baptisés "Les Anglais" par les autres obédiences. La fraternité n’empêche pas de chambrer.
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