INTERVIEW. Avec Antoine Dupont, Romain Ntamack est la tête d’affiche de ce XV de France qui gagne. Il le sait et vit très bien avec. Le JDD l’a rencontré, alors qu’il rentre de blessure et qu’il devrait jouer samedi prochain contre l’Australie.
Il n’a pas joué depuis le 11 septembre à cause d’une entorse à la cheville, mais il s’avance en favori pour débuter à l’ouverture samedi contre l’Australie , premier rendez-vous de la série automnale (Afrique du Sud le 12 novembre, Japon le 20). Preuve de la place prise par Romain Ntamack , 23 ans, au sein du XV de France . Avant de rallier Marcoussis, il s’est longuement raconté. Lui, son métier, son image.
Quand vous ne jouez pas, êtes-vous invivable ?
Peut-être un peu irascible au début, mais je relativise vite. Les blessures font partie de la vie d’un sportif. Dans mon malheur, j’ai eu la chance que ça arrive assez tôt dans la saison pour pouvoir postuler aux tests de novembre, mon objectif. J’ai travaillé très dur pour ça : pas un seul jour de répit, à la salle de muscu de 8 heures à 14 heures. Le bon côté, c’est aussi d’avoir profité des week-ends pour voir mes proches ou vaquer à mes occupations.
Votre mère loue votre « mental de fou ». C’est quelque chose dont vous avez conscience ?​
Oui. Pour en être là où j’en suis aujourd’hui… Depuis tout petit, j’ai l’habitude de travailler dur et tout seul. C’est en moi. Mais bon, jusqu’ici je n’ai pas eu de blessure longue durée. Quand j’en vois certains rester seuls dans leur coin pendant des mois et continuer à faire des efforts de fou… Je pense que c’est plus dur que de jouer tous les week-ends.
La crainte de cette blessure longue, elle existe ?
Non mais on constate qu’il y en a de plus en plus et il faut peut-être se poser des questions. Joue-t-on trop de matches ? Je n’ai pas la réponse, mais ça ne doit pas être anodin.​
Parlez-vous entre vous de l’enchaînement des matches, de la violence des chocs, de la santé des joueurs ?
Avec la saison marathon que l’on a faite l’an dernier, on s’est interrogés. Quand l’effectif est étoffé, ça passe. Mais quand il commence à y avoir 15, 20, 25 blessés, les mêmes joueurs sont alignés tous les week-ends. Chaque journée, on a un match de très haut niveau. Avant, en Top 14, une demi-douzaine d’équipes luttaient pour le haut de tableau. Maintenant, toutes sont compliquées à battre. Physiquement et mentalement, c’est dur d’enchaîner sans répit. Surtout en cette période de Coupe du monde.
Le rugby, c’est encore un jeu ?
Quand on rentre sur le terrain, on a une âme d’enfant. À l’entraînement, on n’a qu’une envie : jouer avec les copains. Prendre du plaisir, en donner. Même si on perd un peu ça de vue avec le professionnalisme.
 
Au rugby, les gestes qui paraissent les plus simples sont souvent les plus complexes
 
Aimeriez-vous jouer sans la pression du résultat ?
C’est aussi ce qui te fait ressentir des choses incroyables. Cette montée d’adrénaline te fait renverser des montagnes quand les choses sont désespérées. Le pays de Galles en 2020, c’était quelque chose. On a une équipe à 5 sélections de moyenne et on en défie une à 80. Au Millennium, toit fermé, plein à craquer. On s’attendait à vivre l’enfer et on renverse les Gallois, une première chez eux depuis dix ans.
Quel moment préférez-vous dans votre métier ?
L’avant-match. Le départ de l’hôtel en bus, tous les joueurs sont concentrés, pas un bruit. Puis quand la pression monte dans le vestiaire. Tout le monde dans sa bulle, peu de mots. J’aime beaucoup l’échauffement et l’entrée des équipes, parce que c’est le dernier moment où on peut profiter de l’environnement. Je prends cinq minutes pour m’imprégner. Ce sont des instants rares, on peut rêver et prendre conscience du caractère exceptionnel de notre métier. Une fois dans le match, c’est plus dur.
Si votre père n’avait pas été rugbyman, seriez-vous tout de même tombé dedans ?
S’il avait été prof de tennis avec des raquettes et des balles partout dans le jardin, j’en aurais sans doute fait. Là, il y avait des ballons, des maillots, des crampons, ça nous a de suite attirés avec mon petit frère [Théo, troisième ligne du Stade toulousain]. Mais notre père ne nous a jamais forcés. On aurait aussi pu opter pour le basket, parce que notre mère en a fait.​
Quel geste symbolise le mieux le rugby ?
La passe avant essai. Plaisir d’offrir. La mêlée aussi, mais une passe qui décale un coéquipier ou amène une belle action, j’adore. Au rugby, les gestes qui paraissent les plus simples sont souvent les plus complexes. Et là, on est dedans avec cette position particulière des mains, et une fois qu’on l’a d’un côté, il faut la réussir de l’autre. Passe à droite, passe à gauche : depuis gamin, on répète ça mille fois, mais, arrivé en match, on a une seule chance et ça doit être réalisé à la perfection.
Un autre sport ?
Je suis curieux de tout, je ne fais pas de fixette. Foot, hand, rugby à XIII, Formule 1… J’ai été invité sur un Grand Prix et j’ai été fasciné par la complexité de la discipline. À la télé, on voit les pilotes dans leur voiture, mais le nombre de personnes qui travaillent dans l’ombre pour qu’une seule soit mise en lumière est absolument extraordinaire. On présente la F1 comme un sport individuel, mais c’est surtout un sacré sport d’équipe.
 
Je trouve ça très bien de voir des rugbymen à la télé, ça promeut encore mieux l’image de notre sport.
 
Se balader à Madrid avec un maillot du Real floqué Messi, ça dit quoi de vous ?
C’était juste un pari [perdu] avec deux amis et on était en transit à l’aéroport. C’est passé assez inaperçu, sauf pour la vendeuse de la boutique qui s’est demandé si je n’étais pas un peu fou.
Les sponsors vous sollicitent beaucoup. Vous fixez-vous des limites ?
On a une petite équipe : mes deux agents [sportif et d’image], mon père et moi. On prend toujours les décisions ensemble. Sans s’éparpiller, on essaie de faire des choses qui me ressemblent et restent qualitatives. Avec l’arrivée de la Coupe du monde, ça se manifeste de plus en plus.
Après sa séance photos dans GQ qui a beaucoup fait parler, Antoine Dupont nous disait que le milieu du rugby n’était « pas le plus ouvert d’esprit ». Aimeriez-vous aussi casser les codes ?
Ouais bon, lui, il les a vraiment cassés. Il y a certaines choses que je ne ferais pas… Mais il a raison, il faut vivre avec son temps. Le rugby a évolué sur le terrain et en dehors. Beaucoup de joueurs sont sollicités par des marques. Prenons la mode : quelque part, les deux sont liés parce que, en tant que rugbyman, on aime bien prendre soin de soi. C’est important de sortir de ce cadre trop stéréotypé, c’est à notre génération de jouer avec ça. Je trouve ça très bien de voir des rugbymen à la télé, ça promeut encore mieux l’image de notre sport. Tant qu’on garde les mêmes valeurs…
Ce n’est pas devenu un mythe, ces valeurs ?
Dans ce que je vis au quotidien, elles existent. Partage, entraide… Au Stade toulousain, je m’y retrouve. Il ne faut pas confondre professionnalisation et individualisation. Quand on a en tête qu’on ne peut rien faire sans ses copains, on est tout de suite beaucoup plus humble. Forcément, certains joueurs sont plus mis en avant que d’autres, mais ça fait partie du sport de haut niveau.
Antoine Dupont et vous, en l’occurrence ?
On n’est pas débiles, on voit qu’on est plus exposés médiatiquement. Ça ne me pose aucun problème, Antoine non plus, et je pense que c’est pareil pour les autres joueurs. Tant qu’on ne se prend pas pour ce qu’on n’est pas, aucun problème. Avec notre humilité et notre bonne éducation, je n’ai aucun doute sur le fait qu’on restera les mêmes. Moi, je ne manque de respect à personne, et ce n’est pas parce qu’on me voit une fois à la télé que je vais me prendre pour une star.
 
 
On a vu que l’équipe de France prenait une autre dimension et que les gens s’intéressaient bien plus au rugby
 
De quand date la bascule ?
Au-delà de ma personne, on l’a tous sentie il y a un an, après les All Blacks. On a vu que l’équipe de France prenait une autre dimension et que les gens s’intéressaient bien plus au rugby. Le Grand Chelem a confirmé tout ça, le Mondial fixe un horizon. On essaie d’être les meilleurs ambassadeurs. J’ai connu la fin de l’ère des Guilhem Guirado, Yoann Huget, Maxime Médard : c’était triste de voir cette équipe critiquée, moquée parce qu’elle enchaînait les fameuses « défaites encourageantes »… L’acharnement était pesant. On se rend compte de la chance qu’on a aujourd’hui. Des résultats, du soutien. Tout le monde tire dans le même sens. Les gens avaient besoin d’une équipe de France qui gagne.
À un an de son Mondial, la France brille sur le terrain et l’état-major de son rugby est dans la tourmente. Comment vivez-vous ce paradoxe ?​
Tout ce qu’on nous demande, c’est d’être bons et de gagner les matches. Le reste ne nous regarde et ne nous perturbe pas. La pression, on vit avec. Elle va monter avec les événements qui arrivent mais, avec ce groupe, c’est facile de la transformer en énergie positive.
Être favoris, ça vous plaît ?
On nous colle ce statut mais on ne se considère pas comme tels. On a, certes, remporté le Grand Chelem et engrangé de la confiance, mais ça tournera vite si on se troue. C’est très relatif, tout ça. On attaque une nouvelle saison et on espère que les promesses vont se confirmer pour arriver à une belle fête dans un an.
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