C’est un geste qui semble aussi anodin qu’incontournable. Comment évoquer le football sans parler du jeu de tête ? Le doublé de Zinédine Zidane en finale de la Coupe du Monde 98, la détente de Cristiano Ronaldo devenue au fil des années une véritable référence ou encore l’aspect "tour de contrôle" ces dernières années de joueur comme Sergio Ramos ou Virgil Van Dijk… Il faudrait des heures pour évoquer les spécialistes du jeu de tête ou l’importance de cet aspect football dans les rencontres. Pourtant, il pourrait se cacher derrière cette habitude sur le terrain une réalité bien plus inquiétante pour les pratiquantes, tant professionnels qu’amateurs. Avec le documentaire Un football sans tête, L’Equipe Explore propose de se plonger dans une enquête passionnante, basée sur des études scientifiques très sérieuses, mettant en lumière le danger des têtes sur la santé des athlètes. Rencontre avec Frédéric Roullier, co-réalisateur du film.
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Comment vous-est venu l’envie de vous lancer dans cette enquête sur les conséquences du jeu de tête ?
C’est parti d’une idée assez simple. Chez Seiya Production, nous sommes des anciens de chez Canal et nous avons toujours réalisé des enquêtes sur le sport. On a l’habitude de faire un pas de côté, de ne pas simplement se focaliser sur les résultats. Pour le jeu de tête, je trouvais ça tellement fou qu’un tel sujet, qui pouvait potentiellement être un scandale de santé publique à l’échelle mondiale, soit si peu discuté. On ne mettait pas le sujet sur la table, pour savoir s’il y avait un réel danger. On ne peut pas continuer à fermer les yeux. Il faut s’emparer de ce sujet, c’est salutaire.
Pourquoi cette thématique qui touche directement la santé des joueurs n’est pas abordée au football comme cela a pu être le cas en boxe ou en rugby ?
Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, il n’est pas aussi de comprendre pour une personne lambda qu’il y a des chocs au football, alors qu’en boxe ou en rugby il suffit de ne regarder que quelques minutes pour se rendre compte de la violence des impacts. Au football, c’est plus insidieux. Les chocs ont souvent lieu en l’air, ce sont des coups de coude ou alors des contacts tête contre tête… Mais il y a une seconde problématique : les micro-commotions provoquées par les coups de tête répétés dans le ballon. Il n’y a que quelques scientifiques qui se sont penchés sur la question. Et puis, il y a peu d’intérêt de la part des instances à se pencher ou à communiquer sur ce sujet-là, pour des questions financières mais aussi de responsabilités vis à vis des joueurs.
Ce débat autour des conséquences du jeu de tête parait très discret médiatiquement…
Il y avait extrêmement peu de données et d’informations scientifiques sur le sujet pendant longtemps. Il est difficile pour un média de s’emparer d’un sujet dont on ne sait pas grand-chose, il faut leur accorder ça et c’est difficile de les blâmer. En revanche, il est vrai que beaucoup de médias sont plus dans l’accompagnement du sport plutôt que dans la remise en question ou la mise en perspective du sport. Cette approche que nous essayons d’avoir avec ce documentaire, nous espérons qu’elle puisse déboucher sur un débat si ce n’est sur des changements plus profonds.
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Des protocoles ou des actions ont-ils été mis en place dans le monde du football concernant le jeu de tête et son impact sur les joueurs ?
En Angleterre, des décisions ont été prises. La Premier League a recommandé de limiter le nombre de têtes de force supérieure à dix dans la semaine. Rien n’a été pris comme mesure similaire en France. Je vais reprendre ce que disent les scientifiques qui ont mené des études sur la question. Il y a des joueurs qui ont au cours de leurs carrières réalisé 70 000 ou 80 000 têtes. Ce qu’ils recommandent dans un premier temps, c’est de limiter voir de stopper les têtes à l’entraînement et de les conserver uniquement pendant les matchs, afin de voir s’il y a un effet majeur sur la santé des joueurs. Il faut se rendre compte de l’impact que peut avoir une tête : c’est comme un coup de poing en boxe. Ça peut aller de 80 à 100 km/h.
Joueurs et entraîneurs pourraient mettre en avant l’intérêt de s’entraîner la semaine afin d’être performant lors des matchs officiels…
C’est une piste que nous avons voulu explorer en fin de documentaire, en faisant une projection sur un football sans tête ou avec moins de tête. Il y a une séquence qui n’apparait pas dans le montage final, au moment de l’échange entre Eric Carrière, Rolland Courbis et Christian Gourcuff. Ce dernier nous disait qu’à la fin de sa carrière, il faisait des entraînements sur coups de pieds arrêtés et que les joueurs ne voulaient plus revenir après avoir fait une tête parce que les ballons étaient trop durs. Christian Gourcuff se rendait compte qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Donc oui, il faut au moins ouvrir une réflexion sur l’avenir du jeu de tête dans le football.
Pourrait-on voir cette problématique comme un ennemi invisible à combattre ?
Complètement. Personne ne nous en parle, donc forcément on ne l’a pas en tête. Ensuite, faire une tête ne provoque pas de douleur immédiate dans la plupart des cas. Et puis, surtout, quasiment personne dans les instances n’aborde le sujet pour alerter les joueurs et les joueuses. Ces dernières sont même beaucoup plus en danger que les hommes, à cause de facteurs génétiques, hormonaux et musculaires.
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On parle souvent des calendriers de plus en plus chargés pour les équipes : plus de matchs donc potentiellement plus de têtes à effectuer pour les joueurs et les joueuses…
Contrairement à un légende très répandue, il y a plus de têtes au cours d’un match qu’il y a 40 ans. Le rythme est aujourd’hui plus élevé pendant les matchs, et en effet les calendriers sont plus denses. Plus de têtes au sein d’un même match, plus de matchs dans la saison : le calcul est vite fait.
Était-ce facile d’échanger sur cette problématique de santé avec des joueurs, en activité ou à la retraite ?
En fait, une grande partie du monde du football s’en fiche royalement et pense que ce n’est pas un sujet. C’est assez dingue. Mais encore une fois, je pense que les joueurs et les coachs sont des victimes de cet ennemi invisible dont on parlait. On a eu beaucoup de refus d’anciens joueurs soit pour des interviews soit pour se faire analyser le cerveau etc… On s’est penché sur Eric Carrière, qui est dans le documentaire, parce qu’on cherchait quelqu’un qui réfléchissait sur l’avenir de son sport. On avait l’impression qu’il pouvait être une sorte de lanceur d’alerte ou en tout cas quelqu’un qui s’empare du sujet. Il a parfaitement tenu son rôle.
Avez-vous tenté de contacter différentes instances du football ?
Bien sûr. Nous avons eu la Fédération Française de Football, via son médecin en chef Emmanuel Orhant. Il minimise dans un premier temps les dangers du jeu de tête, avant de totalement modifier son discours et de nous expliquer que les règles vont changer dès la saison prochaine. Il faut le dire : la FFF n’est pas inactive sur ce sujet, elle mène des actions pour tenter de comprendre. On a évidemment aussi essayé de contacter la FIFA, mais elle n’a pas souhaité s’exprimer dans le documentaire.
Un football sans tête, un documentaire à visionner sur L’Equipe Explore
Interview d’Aurélien Gaucher