Édité par Diane Francès — Temps de lecture : 6 min
Anne Crochon — Édité par Diane Francès
À Perth et sa banlieue (Australie).
«C’est fou le nombre d’Australiens avec un mulet!» Voilà une remarque que vous risquez d’entendre de la part de Français partis s’aventurer en Australie. Loin de là l’image du surfeur blond aux cheveux bouclés (même s’ils existent); en Australie, la coupe tendance du moment, c’est le mulet!
«Depuis que je porte un mulet, j’ai plus confiance en moi»; «Si tu peux sortir avec un mulet, il n’y a rien que tu ne puisses pas faire»; «Le mulet, ça donne l’air dur, fort, et les filles, surtout les Australiennes, elles adorent ça», racontent un à un les hommes croisés dans les rues de Perth (Australie-Occidentale) et sa banlieue. En clair, ce style capillaire ne se résume pas à une coupe de cheveux.
Assis sur un banc, près du centre commercial d’Ellenbrook, situé dans la banlieue de la capitale de l’État, Fred, 60 ans, profite du soleil: «J’ai un mulet depuis mes 12 ans, ça fait partie de moi, c’est moi et personne d’autre.» Aujourd’hui, il est fier de sa coiffure et n’hésite pas à l’exhiber sous tous les angles devant notre appareil photo (c’est lui qui pose sur la photographie en haut de cet article).
Fred fait partie de l’ancienne génération de mulets, celle inspirée par Bon Scott, ex chanteur du groupe de rock AC/DC. Depuis 2019, ce style capillaire revient en force, porté par des icônes musicales, mais surtout sportives. C’est simple, lorsque l’on parle «mulet», il ne se passe pas cinq minutes avant que le nom de Bailey Smith, footballeur superstar de l’Australian Football League (AFL) dans l’équipe des Western Bulldogs (Melbourne, Victoria), ne soit prononcé.
«Je fais environ sept mulets par semaine pour des personnes âgées de 7 à 40 ans en moyenne, et je dirais que de 5 à 15 ans, ce sont des personnes influencées par les joueurs de football», estime Balin, du salon de coiffure Ugly Men à Perth. L’AFL, grossièrement décrit comme un mélange entre le football et le rugby, est le sport national le plus regardé en Australie –et les plus jeunes, fans de sport, cherchent à tout prix à ressembler à leurs idoles.
C’est le cas de Mickael, 9 ans, rentré un jour du skatepark avec l’envie de se faire un mulet: «Je pense que c’est lié à l’idéalisation de joueurs de football. À l’école, je dirais que 20 à 30% des enfants ont des mulets», explique sa mère.

«Il est rentré un jour de l’école et il nous a dit qu’il voulait se faire un mulet. Je n’ai pas compris pourquoi mais bon, c’est son choix!» sourit le père de Mickael, 9 ans. | Anne Crochon
Le deuxième paramètre à prendre en compte dans le retour du mulet, c’est la crise du Covid. Ce ne sont souvent que des suppositions faites par les coiffeurs, mais la fermeture des salons et les confinements successifs auraient amené nombre d’Australiens à se coiffer un mulet. «Tu peux te le couper toi-même ou demander à quelqu’un de le faire à la maison. Et puis, c’est facile à gérer comme coiffure», raconte Anita, 58 ans, une amie de Fred. Pendant des années, elle en coupait elle-même à ses petits-enfants.
«Je pense que ça fait partie de la culture australienne. Mon père est un bogan [terme péjoratif pour une personne peu raffinée, mal habillée et fruste, généralement de couche sociale défavorisée, ndlr], le mulet est très répandu chez nous», considère à son tour Hayden, 24 ans. Depuis qu’il est enfant, il a toujours vu cette coupe de cheveux autour de lui, si bien qu’il a fini par s’y mettre aussi: «J’ai tenté plusieurs coiffures, j’ai coupé mon mulet plusieurs fois mais j’y reviens toujours!» Une tradition que sa petite amie Tia, 21 ans, adore: «Si j’ai des enfants, ils auront un mulet!»
Tous les Australiens ne portent pas de mulets, mais plus on s’éloigne du centre-ville de Perth, plus cette coiffure est populaire. Ayky, 32 ans, gère le salon de coiffure Elegancy Barber à Aveley, en banlieue de Perth. Il considère effectuer une vingtaine de mulets par semaine: «Ici, les porteurs de mulet sont surtout les hommes, blancs, qui travaillent en mine ou dans la construction.»

À force de faire des mulets à ses clients, Chico, 22 ans, a craqué et s’en est fait faire un à son tour. | Anne Crochon
Si le côté pratique de la coupe, qui protège la nuque des coups de soleil tout en permettant de ne pas avoir les cheveux dans les yeux, a été souligné à plusieurs reprises, ce n’est pas la motivation principale évoquée.
«Beaucoup de personnes veulent être des rebelles, contre les règles. Elles souhaitent être uniques, différentes. Pendant un moment, c’était le mohawk [crête, ndlr] qui était tendance, maintenant le mulet revient», précise Aly, 21 ans, coiffeur au Ellenbrook Barber Shop, en banlieue de Perth. Aujourd’hui, le mulet n’est plus aussi long que dans les années 1980. Depuis son grand retour en 2019, il est intentionnellement décoiffé et s’arrête au niveau de la nuque. Mais le message reste le même: être rebelle, outsider.

Actuellement élève dans une école privée, Indie flirte avec l’interdiction du mulet dans son établissement en trouvant ses propres stratégies. | Anne Crochon
D’ailleurs, certains lieux ont interdit cette coupe de cheveux, notamment les écoles privées. Mais elles n’auront pas le dernier mot selon Indie, lycéen de 17 ans: «On peut contourner cette règle en laissant ses cheveux plus longs au-dessus. Comme cela, on ne voit pas trop le mulet.»
Ailsa Weaver, spécialiste de la mode à l’Université technologique de Sydney, décrit les hommes arborant ce style capillaire comme «des Australiens, blancs, travailleurs, mais qui ne respectent pas le patron. Ils aiment s’imaginer avoir un charme anti-autorité.»
D’après elle, l’origine de cette coupe de cheveux en Australie remonte au XIXe siècle et aux gangs appelés «Larrikin» du centre-ville de Sydney: «Il s’agissait de gens avec un haut sens de la mode mais très anti-autorité. Ils s’exprimaient à travers leur style, coupaient leurs propres cheveux et se positionnaient clairement en outsiders.»
À LIRE AUSSI
Comateens, groupe méconnu et indispensable des années 1980
Si une partie des Australiens voient dans cette coiffure un booster de confiance en eux, un atout de séduction ou une exposition de leur côté rebelle, pour d’autres le mulet n’est qu’une bonne partie de rigolade entre amis, une manière d’afficher leur personnalité «relax», «sans prise de tête».
Pour Ailsa Weaver, si une partie des porteurs de mulet (les plus âgés) sont nostalgiques d’une Australie pleine de succès avec ses groupes de musique internationaux ou des films emblématiques comme Crocodile Dundee, aujourd’hui ce style est surtout «abordé par patriotisme ou par ironie».

Dylan est tombé amoureux de son mulet, pourtant issu d’un pari entre amis: «Je mourrai en portant le mulet comme personne», déclare-t-il à sa petite amie. | Anne Crochon
«J’ai eu mon mulet en 2017. On avait bu avec des amis, et mes potes m’ont dit: “On devrait te couper un mulet.”» C’est après une bonne soirée arrosée que Dylan, 22 ans, s’est retrouvé avec un mulet sur la tête. Depuis, il l’a gardé et entend bien «mourir en le portant comme personne»!
Il n’est pas le seul à allier alcool, pari et mulet. Ce combo va de soi selon Balin, coiffeur: «Je rattrape beaucoup de mulets faits en soirée, après un pari entre amis.» D’ailleurs, cette coupe est très souvent associée à l’amitié, comme le raconte Daryus, 26 ans: «L’un de mes amis a un cancer, et avant de perdre ses cheveux, il m’a lancé le pari: “Viens, on se fait un mulet!” Depuis, je l’ai gardé.»

«Si tu peux marcher dans la rue avec un mulet, il n’y a rien que tu ne puisses pas faire», confie Daryus, 26 ans. | Anne Crochon
Pour réaliser l’ampleur du succès du mulet, il faut évoquer le Mulletfest, un festival célébrant ce style capillaire à travers l’Australie. «Tout est parti d’un délire entre potes où l’on se demandait si les gens comparaient leurs mulets. On a lancé une compétition dans le but de relancer le tourisme à Kurri-Kurri [Nouvelle-Galles-du-Sud, ndlr]», se rappelle Laura Johnson, organisatrice du Mulletfest. Et ça marche! En 2018, le festival accueillait 2.000 participants; en 2022, l’événement s’est exporté à travers tout le pays. Au total, il comptabilise treize compétitions, 3.000 compétiteurs et 100.000 participants au festival.
Depuis cinq ans, les festivaliers viennent comparer leur mulet par catégorie –junior pour les enfants, ranga (roux), vintage (plus de 50 ans), grubby (sordide), extrême, international et mulet de tous les jours– devant un jury d’exception comprenant une célébrité, un coiffeur et un ancien gagnant.
À LIRE AUSSI
En Australie, la date de la fête nationale est une gifle donnée aux peuples autochtones
«Aujourd’hui, on dirait que porter un mulet, c’est faire partie d’une société secrète, s’amuse Ailsa Weaver, deux porteurs de mulets se voient et ils s’offrent une bière.» Elle ajoute que si le Mulletfest célèbre le côté nostalgique de la coupe, depuis plusieurs années, le mulet a aussi été abordé par une autre communauté: les LGBT+, avec des icônes comme Miley Cyrus. «Le mulet n’est pas lié à un genre et la communauté LGBTQ se l’est réapproprié de manière ironique», explique-t-elle.
Le succès de ce style capillaire en Australie est résumé par un jeune Australien: «Tout le monde veut un mulet au fond de lui.» Alors, une petite coupe?
Mieux que la retraite à 62 ans, la sieste pour tous et sans condition
[BLOG You Will Never Hate Alone] Accorder à chacun le droit de s’octroyer une sieste devrait être la prochaine conquête sociale, la plus importante depuis les congés payés.
Laurent Sagalovitsch 1 février 2023 Temps de lecture : 3 min
Pourquoi la culture drag est dans le viseur de la droite identitaire
Depuis quelques semaines, les actions anti-drag queens se multiplient à travers la France. Un phénomène inquiétant, déjà observé aux États-Unis.
Sofian Aissaoui 1 février 2023 Temps de lecture : 4 min
«J’ai jamais vu Marcelle et Pierrot se disputer»
[Épisode 1] L’histoire de ce couple, marié depuis 1957, est celle de deux êtres fusionnels: le travail, la vie, la danse, ils ne faisaient presque jamais rien l’un sans l’autre. Au point d’espérer pousser ensemble leur dernier souffle.
Élise Costa 1 février 2023 Temps de lecture : 9 min

source

Catégorisé:

Étiqueté dans :

,