Son sourire réservé tranche avec sa carrure imposante. Avec sa grande taille, ses larges épaules et ses cheveux tirés en chignon, il a des faux airs de guerrier dothraki. Le look urbain en plus. Mais contrairement aux cavaliers nomades de la série Game of Thrones, Amine n’aura pas de cheval ni de sabre recourbé durant sa prochaine bataille. Elle se déroulera avec un ballon samedi prochain au stade Jean-Bouin, dans le 16e arrondissement de Paris, lors de la première édition de l’Eleven All Stars. Un match de foot entre les principaux streamers français et espagnols, qui déchaîne les passions sur les réseaux. Les vingt-mille places mises en vente (entre 20 et 50 euros) se sont arrachées à une vitesse éclair. La rencontre, retransmise en direct sur Twitch et YouTube, de jouera à guichets fermés (coup d’envoi 20h45).
A l’initiative de ce projet ambitieux, qui va mobiliser près de 150 techniciens et 20 caméras, “AmineMaTue” (son pseudo) n’a pas compté ses heures pour parvenir à ses fins: “Je suis assez fier, surtout ce que ça s’est fait en peu de temps pour un événement de cette ampleur. On a bossé dessus ces cinq derniers mois. On est très content de ce qui va arriver, il reste encore pas mal de surprises pour le jour J”, explique-t-il en nous accueillant dans l’antre du Stade Français, bas de survêt noir et t-shirt beige sur le dos.
Après avoir organisé plusieurs rencontres entre streamers sur petit terrain (les “Five Club”), Amine a eu envie de voir plus grand. Pour faire sortir ses potes de leur zone de confort et internationaliser son contenu. L’Espagne est alors rapidement apparue comme l’adversaire idoine. “Les Espagnols ont un historique avec la France au niveau des jeux vidéo. Il y a une rivalité, notamment sur League of Legends, depuis un certain temps. Comme dans le sport”, rappelle Amine. L’antagonisme est encore monté d’un cran au printemps dernier lors de la Pixel War 2022 (un jeu en ligne qui consiste à créer le plus grand dessin possible), remportée par les Français après une lutte intense face à leurs voisins ibères.
“A ce moment-là, j’ai rencontré un mec qui s’appelle DJ Mario et qui organise des matchs de foot en Espagne, complète Amine. On a discuté et on s’est dit pourquoi pas faire un truc entre nous, en réunissant tout le monde pour s’affronter de manière amicale, dans le respect. On a tout de suite été chauds. C’est allé très vite. Il n’y a pas eu de bégaiement. Ça s’est fait naturellement.”
Le leader des Bleus a alors monté sa team, avec la volonté de ne pas faire appel à des joueurs trop confirmés. Et tous les streamers sollicités ont répondu présents. Au point de placer leur capitaine dans une situation un peu embarrassante: “La difficulté n’a pas été de convaincre des gens mais plus de les choisir. Comme un sélectionneur en fait, c’est horrible. Je pense qu’il y a peut-être des mecs qui m’en veulent, qui se disent ‘pourquoi je n’y suis pas’. Ça me rend un peu triste parce que je me mets à leur place. J’ai l’impression de me prendre pour Didier Deschamps là, c’est terrible (rires).”
Installé sur un canapé posé en haut de la tribune présidentielle, Amine observe du coin de l’oeil les jeunes du Stade Français qui s’entraînent en contrebas sur le gazon synthétique. Dans quelques jours, il sera à leur place. Face à des tribunes archi-pleines. “Je sens la pression monter de malade, admet celui qui a débuté sur Twitter il y a dix ans, avant de percer sur Twitch durant le confinement. J’ai rêvé il y a quelques jours que je ratais tout sur le terrain, c’était horrible. Mais la pression n’est pas que footballistique. Même si on a une production haut de gamme, qui a pas mal bossé avec RMC Sport sur les matchs de Ligue des champions, il y a pleins de facteurs qui rentrent en jeu: le public, le spectacle, le temps et puis le match. Je n’ai pas envie qu’on se rate.”
L’enjeu est énorme pour le streamer de 28 ans, qui a grandi à Drancy, en Seine-Saint-Denis (au nord-est de Paris), après avoir vu le jour en Normandie. Titulaire d’un bac+3 en informatique, Amine a commencé par écrire des textes pour certains youtubeurs comme Maskey ou Le Rire Jaune. Avant de se lancer lui-même, d’abord derrière son clavier, puis face à la caméra. Même s’il rassemble des millions de personnes sur ses réseaux, l’auteur du 93 ne s’est encore jamais vraiment confronté à son public. Pas de manière aussi massive en tout cas. La remarque est valable pour la plupart des ses acolytes, qui vont devoir gérer une exposition inédite. En faisant attention à leur image.
Depuis près d’un mois, la team France se réunit deux fois par semaine afin de se préparer à ce match lors duquel les changements seront illimités (pour maintenir un certain rythme). Les séances d’entraînement sont dirigées par Saïd, le coach d’une équipe U17 à Sainte-Foy-lès-Lyon (au sud de Lyon), accompagné de son assistant. “Il connaît bien son rôle. Il n’hésite pas à nous recadrer. On a travaillé physiquement et balle au pied. On l’habitude de faire des five, mais sur grand terrain, ça n’a rien à voir. J’ai l’impression qu’on est en train de réapprendre le football, comme si je n’y avais jamais joué”, glisse Amine, passé brièvement par la Jeanne d’Arc de Drancy dans sa jeunesse.
Le leader des Bleus nous détaille ensuite son effectif éclectique, composé de vingt-deux personnalités d’un niveau inégal (contre vingt pour l’Espagne). Les tauliers du vestiaire? “Je dirais moi et Carlito, qui est un peu notre papa”. Le plus technique? “Boumé, mais il y aussi Alonz et Yannou. Trois très bons joueurs, s’ils ne cèdent pas sous la pression le jour J”. Le plus physique? “Rivenzi. Il a une protection de balle de videur, il est vraiment coriace, j’étais choqué. C’est notre Sergio Ramos.”
Le moins affûté? “Il va m’insulter, mais c’est Yass (rires), même si Inox a appris à jouer au foot pour participer à ce match.” Ceux qui vont surprendre le public? “Il y en a deux. Billy, je pense qu’il va révolutionner le football. Il a une manière de jouer, je n’ai jamais vu ça avant. Et puis Michou, c’est une boule de nerf ce type! Il court partout, il est agressif, teigneux, dur sur l’homme. Et il a un bon pied gauche.”
En face, la Roja d’Ibai se présentera dans l’ouest de Paris avec une équipe sérieuse, composée de plusieurs youtubeurs foot et de quelques bons manieurs de ballons. Les Espagnols sont d’ailleurs donnés favoris. “C’est vrai, mais il ne faut pas qu’on soit trop outsiders non plus et que ce soit un PSG-Auxerre, prévient Amine, qui évoluera en attaque. Le but, c’est que le match soit équilibré, avec une victoire de la France. Ce n’est pas un match de charité, il y a une sorte de fierté et d’honneur en jeu. C’est totalement différent de certains matchs pour la rigolade qu’on peut voir. On va vraiment à la guerre. Ce ne sont pas nos potes les mecs en face. On vient pour les fumer!”
L’après-match s’annonce déjà bouillant sur les réseaux, de chaque côté des Pyrénées. D’autant que la communauté ibère est connue pour son chambrage épicé. “Il n’y a aucune prétention dans tout ça. On ne se prend pas pour des joueurs de foot. C’est surtout du spectacle”, rappelle Amine, qui réfléchit déjà à d’autres projets de ce type dans le futur. Un match retour est même déjà acté en Espagne dans les mois à venir.
“On rêve en grand, confirme-t-il. Cet event sert un peu de crash-test. On va voir comment ça se passe, à tous les niveaux. On a beaucoup d’idées en tête. Si ça se passe bien, on peut imaginer plein de choses derrière.” Après le succès du Grand Prix Explorer organisé par Squeezie le mois dernier sur le circuit du Mans, les streamers français semblent à l’aube d’une nouvelle ère. “Je pense vraiment que c’est le début de quelque chose. Les créateurs de contenus veulent se bouger et faire des choses eux-mêmes, monter leurs propres événements. Ça touche des personnes différentes. On n’a pas l’ambition de concurrencer des circuits de sports pros. On veut juste faire plaisir aux gens, en faisant les choses les plus divertissantes possibles.”
A titre personnel, Amine, fervent supporter du PSG, ne se fixe pas de limite. “J’ai des buts dans ma tête que je n’ai jamais révélés et peut-être qu’ils se réaliseront un jour”, espère-t-il. Dans son dos, le toit du Parc des Princes, collé au stade Jean-Bouin, apparaît entre deux éclaircies. L’étape d’après pour l’Eleven All Stars? “On ne sait jamais”, conclut son créateur avec un petit sourire.
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