13 novembre 2009 à Toulouse. Au Stadium, le XV de France s’apprête à affronter l’Afrique du Sud pour sa tournée d’automne. Les deux équipes se mettent en place pour les traditionnels hymnes. Ras Dumisani, chanteur de reggae sud-africain, s’avance pour chanter celui de son pays. Et là, c’est le drame. Voix cassée, fausses notes et paroles barbouillées… La prestation du chanteur est catastrophique. « J’ai pensé à un moment à une caméra caché, mais non », raconte John Smit, talonneur des Springboks, dans le livre Rugby en Chœurs (éditions Amphora) de Guilhem Herbert. Presque 13 ans, jour pour jour après cet épisode, et avant le France-Afrique du Sud de samedi prochain à Marseille, nous avons retrouvé Ras Dumisani. Et il est revenu dans les moindres détails sur cette soirée si spéciale.
Sa vie a changé ce soir-là à Toulouse. « Ça a pris trois ou quatre ans avant de redescendre, mais même aujourd’hui on continue de m’en reparler. Je sais qu’avec la Coupe du monde en France, on va m’en parler encore », raconte le chanteur de reggae, qui vient de fêter ses 49 ans et qui vit toujours en France de sa musique. Quand nous l’avons joint, il revenait d’une tournée de concerts dans le sud de la France, à Marseille et Aix-en-Provence. « J’aime la France », comme il nous l’a tant répété.
En 2009, Ras Dumisani avait été choisi par l’ambassade d’Afrique du Sud en France pour interpréter l’hymne avant la rencontre. « J’ai reçu un appel de mon assistant pour me prévenir. Il n’y avait aucun problème, je connaissais très bien l’hymne. Je l’avais déjà chanté plein de fois dans ma jeunesse. » Originaire de Durban mais exilé dans l’hexagone, l’homme accepte sans aucune contrepartie financière. On est alors « six ou sept mois » avant la rencontre prévue pour la tournée d’automne : « C’était un sacrifice pour moi mais c’était le destin. C’était le moment pour moi de devenir célèbre devant les télévisions du monde entier. » Ras Dumisani ne sait pas encore ce qui l’attend vraiment.
Le jour du match, il arrive dans la matinée à l’aéroport de Toulouse, où le calvaire va commencer : « On a attendu plusieurs heures pour qu’on vienne nous chercher. J’ai senti qu’il y avait quelque chose qui clochait. À l’hôtel, il n’y avait rien à manger. » Au stade, le chanteur de reggae se rappelle aussi d’un accueil pas très loquace : « On a demandé un accès aux vestiaires. On s’est retrouvé trois étages en dessous, dans un espace fermé sans air frais. Il faisait froid, comment voulez-vous que je n’aie pas eu la voix cassée? » Pour l’accompagner dans sa prestation, on lui présente son équipe : « On était au milieu d’un couloir avec plusieurs jeunes de 15 ans qui étaient là pour jouer pour moi. Ils n’avaient jamais répété la chanson. »
Ras Dumisani, this man murdered the national anthem here 🤣🤣 pic.twitter.com/N6FY7CW0RN
Peu avant 20h45, heure du début du match, Ras Dumisani entre dans le stade mal équipé selon lui : « Je n’avais pas de retour dans mes oreilles. Je n’avais pas le bon micro. Je ne pouvais pas bien chanter dans ces conditions. » Le chanteur sud-africain s’élance quand même pour interpréter le « Nkosi Sikelel’iAfrika », dans son style habituel, en reggae : « L’organisation ne m’a jamais parlé. Ils ne savaient pas que j’allais chanter de cette manière-là. » Après quelques (mauvaises) notes, le malaise s’installe dans tout le stade, y compris au plus proche du chanteur : « Bryan Habana était juste à côté de moi. Je l’ai vu sourire quand il a compris ce qu’il se passait. » Ras Dumisani va tout de même aller jusqu’au bout de sa prestation, non sans continuer de surprendre : « Quand j’ai fini de chanter l’hymne, j’ai crié RASTA… Et je pense que ça a fait mourir de rire tout le monde. Tout le monde s’est dit : qui est ce type ? »
L’homme de 49 ans n’est pas pour autant déçu de sa performance vocale : « Je sais que je suis un bon chanteur. J’ai juste chanté quelques notes un peu plus hautes. » Pour lui, le problème est tout autre : « Ils voulaient saboter l’hymne national. C’était clair dans mon esprit. Cela devait être l’organisation… Je ne sais pas. Quelqu’un voulait effrayer les Springboks avant le match ». Le chanteur sud-africain est sûr de lui, même s’il en rigole encore aujourd’hui.
Pour lui, le buzz de sa prestation l’empêche d’en avoir un mauvais souvenir : « Je ne me suis jamais senti triste à propos de ça. Ça a fait plus de clics que la mort de Michael Jackson sur Google. C’était presque trop gros pour moi. Toutes les télévisions du monde m’ont demandé ce qu’il s’était passé. BBC, CNN, la télévision australienne… Ils m’ont demandé de répéter l’hymne et ils ont compris que je savais chanter. » Pourtant, pour les Springboks, le rire n’a jamais eu sa place. « J’étais énervé. Je l’ai vécu comme un gros manque de respect », explique encore John Smit, qui soupçonne le chanteur d’avoir été sous l’emprise de stupéfiant.
Après la défaite des Springboks (20-13), la dernière d’ailleurs à ce jour face à la France (7 victoires depuis), le sélectionneur sud-africain Peter de Villiers s’en était aussi ému en conférence de presse : « Je voudrais signaler que l’hymne sud-africain n’a pas été respecté et a été chanté par quelqu’un qui ne chantait pas bien. » Toujours dans l’ouvrage Rugby en Chœurs, le capitaine des Bleus Thierry Dusautoir se souvient avoir lutté pour ne pas exploser de rire : « Quand le gars a commencé à chanter, on s’est mordu les lèvres pour ne pas rire (…) Chanter la Marseillaise après ça, c’était très dur. »
Mais les choses avait pris ensuite une tournure beaucoup moins drôle puisque Ras Dumisani avait reçu des menaces de mort en provenance d’Afrique du Sud : « On m’a interdit de revenir sur le territoire sinon on me mettait une balle dans la tête. Plusieurs personnes ont trouvé mon numéro pour me menacer. On m’a dit que je n’étais pas un vrai sud-africain. »
Mais le reggaeman garde le sourire. Celui qui se qualifie de « pacifique » affirme avoir rencontré toutes ces personnes « pour leur montrer que ce n’était pas de ma faute ». Ras Dumisani retourne encore régulièrement en Afrique du Sud pour y faire des petits concerts. Israël, Nouvelle-Zélande, États-Unis… Le chanteur a des projets de voyage pleins la tête, mais continue de suivre sa passion pour le rugby. L’homme de 49 ans aura forcément un œil sur le France-Afrique du Sud de samedi : « Je ne sais pas encore si je pourrai aller à Marseille. Si oui, je me battrai pour avoir un ticket. » Mais pas pour chanter l’hymne.
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