Depuis longtemps déjà, le petit monde du rugby est passé maître dans l’art de détricoter les règles qu’il s’est lui-même imposées. Voici le nouvel exemple en date. Moins de trois ans après avoir entériné la baisse progressive du salary cap, qui devait passer de 11,3 M€ en 2020 à 10 en 2024, la LNR va soumettre au vote des clubs son gel à l’occasion du prochain comité directeur les 6 et 7 février. Sauf revirement, cette mesure proposée par le bureau devrait être adoptée.
Plus des deux tiers…
Plus des deux tiers des clubs de Top 14 y sont favorables. Quant aux clubs de Pro D2, bien que non concernés par ce point de règlement au regard de leurs surfaces financières, ils devraient s’y rallier. « On n’a pas fait de réunion des présidents de D2 dédiée, mais il ne devrait pas y avoir d’opposition », déclare l’un des représentants influents de la division.
Concrètement, cela signifie que la limite de la masse salariale, atteinte aujourd’hui par 10 des 14 clubs de l’élite, fixée à 10,7 millions d’euros pour cette saison, ne sera pas abaissée à 10,4 M€ la saison prochaine comme cela avait été initialement prévu. Pourquoi revenir sur une mesure, certes prise à l’époque où l’économie de ce sport était frappée de plein fouet par les huis clos imposés par le Covid, mais présentée comme un vertueux frein à l’aveugle course à l’armement ?
« À l’époque, il y avait quasiment eu unanimité à décider cette baisse en raison de la peur de l’effritement économique », observe Bernard Pontneau, le président de la Section Paloise : « Mais on s’est rendu compte qu’on était plus fringant. La question s’est posée de savoir si on devait revenir à ce qu’on faisait avant (NDLR, un salary cap à 11,3 M€), mais la réponse a été non. S’arrêter à 10,7, c’est de l’aménagement à la marge qui permettrait à certains clubs disposant d’une marge salariale élevée de ne pas se retrouver à devoir casser des contrats trop importants. »
Le dirigeant béarnais, dont le club ne fait pas partie des 10 du Top 14 à avoir atteint les limites de ces restrictions financières, conditionne cependant ce soutien à une mesure supplémentaire : « Je dis oui, mais dans le même temps, il faut renforcer les pouvoirs et de mesure de contrôle du salary cap ! »
Une sensibilité partagée par Laurent Marti, son homologue à la tête de l’UBB, qui faisait partie des fervents partisans de la baisse lorsqu’elle a été décidée en juillet 2020 : « Si je suis pour le gel désormais, c’est parce que je suis malheureusement au courant des contournements du règlement qui se mettent en place : ceux qui n’usent pas de ces subterfuges seront les dindons de la farce. Je préfère donc qu’on arrête la baisse plutôt que de laisser dégénérer la situation. » Et le Bordelais d’appuyer son propos d’une formule imagée : « Plus les impôts sont élevés, plus les tricheurs sont tentés d’agir… »
L’argument du pragmatisme résonne. Mais cela n’empêche pas certains de voir derrière cet énième revirement la tentation de céder de nouveau à la course à l’armement au lendemain d’une Coupe du monde, en 2023, qui marque traditionnellement l’arrivée en Europe des stars sudistes.
Philippe Saint-André, manager de Montpellier, repousse le soupçon : « Ce n’est pas pour attirer des joueurs de classe mondiale : il y en a de moins en moins qui viennent en France. C’est surtout pour garder tes potentiels ! »
Pour le patron du club champion de France, qui a longtemps été l’un des principaux acteurs (dérégulateur ?) du marché des transferts, l’abaissement du salary cap pose des problèmes très concrets au quotidien. Et cela alors qu’il estime les objectifs initiaux atteints. « On est arrivé à une économie équilibrée, un marché des transferts plus calme qu’auparavant, des salaires qui, notamment sous l’effet du Covid, ont nettement baissé sur les trois ou quatre années », observe l’ancien sélectionneur du XV de France. « Aujourd’hui, on doit afficher 16 Jiffs (NDLR, joueurs issus de la filière de formation) sur les feuilles de match. Ça donne un potentiel énorme au XV de France, ça fait jouer nos jeunes joueurs. »
Mais cette médaille a son revers selon lui : « Désormais, les bons joueurs ne veulent plus accepter des baisses de salaires supplémentaires et on doit dans le même temps négocier des blocs de matchs de plus en plus longs en Top 14. Il faut bien comprendre que le salary cap intègre les Espoirs et le centre de formation. On est à la limite de ce qu’on peut faire pour l’équilibre et la santé de nos joueurs. La baisse des salaires force parfois à se séparer de joueurs pros et en plus, parfois, tu ne peux pas garder un ou deux jeunes à gros potentiel. »
Conjuguée à l’inflation sur les salaires des jeunes joueurs provoquée par le raidissement des mesures en faveur des Jiffs, l’évolution créerait donc un effet ciseaux. « Il ne faut pas aller plus loin. On ne peut pas être bloqué par un salary cap qui descend sans arrêt. » Le message est en passe d’être entendu.

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