Il était une fois « Facu », « Toro » et « Cumpa ». Ou comme un air de western sur les plaines d’Aunis. Ces trois-là, 370 kg sur la balance – qui risque de couiner –, ont trois points communs : ils sont première ligne, joueurs du Stade Rochelais et argentins. Facundo Bosch (talonneur de 30 ans), Joel Sclavi (pilier droit de 27 ans) et Ramiro Herrera (autre pilier droit, 33 ans), dans l’ordre des surnoms, n’ont plus que quelques semaines à passer ensemble sous l’étendard jaune et noir. Fin juin, seul le plus jeune du trio sera toujours sous contrat et conservé. Il fallait les réunir avant, qu’ils nous parlent de leur maison, ce grand pays ciel et blanc.
Cela tombe pile, fin mars lors du rendez-vous, Bosch en rentrait tout juste, les batteries pleines : « C’est une déconnexion qui nous reconnecte ici. Vous imaginez, on est sept frères et sœurs, et avec nos parents on ne s’était pas vus tous ensemble depuis cinq ans… Quand j’étais petit, on avait une ferme, on se retrouvait à 200 personnes à la plage. Il fallait presque la privatiser, rien qu’avec la famille (rires). Trois mois de vacances, avec les chevaux, à jouer au foot, au tejo [la pétanque locale, NDLR]… »
À chacun ses souvenirs d’enfance. « Avec mon père, on prenait la voiture depuis la Patagonie jusqu’au nord de l’Argentine, se remémore Herrera. Il y a à peu près 2 500 km, on en avait pour deux jours. Quand tu es jeune ça va, quand tu grandis… » « Tu prends l’avion », complète Sclavi riant, épaté par le trajet. « Sclaaavi », comme le prononce à la Don Corleone son copain « Facu », qui adore l’embêter, l’asticoter.
C’est que si aujourd’hui Joel Sclavi est à Port-Neuf le roi de l’asado, soit LE barbecue argentin (« moi je suis le mec qui aide, derrière, au fond », précise le talonneur), son « arrière-grand-père était italien. J’ai remarqué qu’il y avait plein de Sclavi en Italie, je crois que j’ai des cousins là-bas. Il y a même un vin qui s’appelle « Sclavi » ! Mon oncle s’en est aperçu quand il s’est fait naturaliser. Du coup, nous, on ne faisait pas de « barbeuc », on ne mangeait que des pâtes. Des sorrentinos, ça s’appelle. » Et la doublure de Pierre Bourgarit de se sentir obligée d’expliciter que « ce sont des espèces de grands raviolis. Je n’ai jamais essayé, apparemment, c’est une spécialité… »
Le repas argentin ? Un espace-temps où « tout le monde s’engueule » et où « dix minutes après on boit le café ensemble ». Ramiro Herrera développe : « Il y a une règle : à table, tu ne parles ni religion, ni politique, ni foot. On a une société compliquée, rien n’est facile en Argentine, on se bat tout le temps entre nous… Soit tu es fort, soit tu es faible. Même sur la route, par exemple dans les bouchons, tout est intense ! On est très passionnels, c’est tout le temps à la vie à la mort. »
L’ancien Puma (42 sélections, 4e du Mondial 2015) avait un papa fan de Boca Juniors. Il se souvient des matchs du dimanche à la Bombonera, ou de cette Coupe intercontinentale 2003 gagnée contre le Milan AC, vue à la télé, au petit matin, à 5 heures. Bosch est aussi Boca, Sclavi vient d’une famille où « c’est River, River, River » (River Plate, le grand rival, également situé à Buenos Aires, NDLR). « Récemment, on a perdu contre Boca (0-1, le 20 mars, en Copa de la Liga Profesional). Le lundi, j’arrive dans le vestiaire à l’Apivia, il y a le maillot sur mon casier. « Facu » l’a acheté rien que pour me faire la blague… »
Pour l’Albiceleste, en revanche, ils sont tous unis. Comme quand Lionel Messi est enfin sacré avec la sélection, sur la Copa América 2021. « J’étais en Argentine, raconte « Toro ». On a regardé tous les matchs chez un pote, chacun assis au même endroit, à manger chaque fois la même chose, à boire les mêmes bières… » Passion rime avec superstition. Maradona rime avec tout. Facundo Bosch, touché par le sujet : « Quand il est décédé, le pays était à l’isolement mais je crois qu’il y avait 2 millions de personnes dans la rue ! Il aimait tellement le maillot de l’Argentine… »
« C’était un bon exemple de tout ce que tu dois faire sur le terrain et tout ce que tu ne dois pas faire en dehors, enrichit « Cumpa » Herrera. Il n’était pas gris, il était noir ou blanc, il n’a jamais trouvé d’équilibre. Personne n’est prêt pour être grand comme il l’était. La société le défonçait depuis ses 14 ans. Je crois qu’il en était l’esclave, comme idole. Même le médecin ne lui parlait pas comme à un patient, il lui parlait comme à Maradona. Il lui demandait de faire une photo… »
Du futbol au rugby, les couleurs argentines sont les mêmes. Les émotions quand on porte ce maillot, ce sentiment si chéri, sont dures à décrire. Joel Sclavi, convoqué l’été dernier mais forfait à cause de ses cervicales, ne les connaît pas encore. Quant à son copain « talon », 14 capes et de bonnes chances de voir la Coupe du monde 2023, il rappelle en préambule que jouer pour les Pumas, c’est jouer pour 46 millions de personnes. Une vraie responsabilité, enviée, sans cliché.
Mais qu’est-ce que ça change alors, réellement, d’avoir ces rayures allongées dans le dos ? « Je me dis à moi-même que je ne peux pas m’arrêter de courir, que je dois bouger en permanence. Si je m’arrête de bouger, je suis un connard. Quand on a battu les Blacks (25-15, au Rugby Championship 2020), c’était au milieu de la pandémie, tout le monde était enfermé et ça n’allait pas du tout économiquement… Rien qu’un jour, une soirée, on a rendu les gens heureux. »

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