Les valises sont encore dans le salon, vidées mais pas rangées. Auckland – Marans (via Chicago), c’est long car c’est loin. Samedi 12 novembre, Aurélie Groizeleau (33 ans) officiait, drapeau en main, sur une finale de Coupe du monde de rugby. Lundi 14, retour à la maison, mercredi après-midi, elle nous y reçoit, debout depuis 4 heures du mat’. Le « jet-lag » passera. Arbitre assistante de cette douce folie qu’était Nouvelle-Zélande – Angleterre (34-31), la plus haute représentante du sifflet maritime et hexagonal féminin est fatiguée mais apaisée. Ces sept semaines sur place, dont les trois dernières en compagnie – salvatrice – de son conjoint Benoît (Traineau, arbitre lui aussi) et de sa fille Lucie (6 ans), auront changé sa vie. Groizeleau la Marandaise nous narre ses 80 minutes hors norme…
Les valises sont encore dans le salon, vidées mais pas rangées. Auckland – Marans (via Chicago), c’est long car c’est loin. Samedi 12 novembre, Aurélie Groizeleau (33 ans) officiait, drapeau en main, sur une finale de Coupe du monde de rugby. Lundi 14, retour à la maison, mercredi après-midi, elle nous y reçoit, debout depuis 4 heures du mat’. Le « jet-lag » passera. Arbitre assistante de cette douce folie qu’était Nouvelle-Zélande – Angleterre (34-31), la plus haute représentante du sifflet maritime et hexagonal féminin est fatiguée mais apaisée. Ces sept semaines sur place, dont les trois dernières en compagnie – salvatrice – de son conjoint Benoît (Traineau, arbitre lui aussi) et de sa fille Lucie (6 ans), auront changé sa vie. Groizeleau la Marandaise nous narre ses 80 minutes hors norme, sa préface, son épilogue.
« Je suis restée prudente jusqu’à ce qu’on me le dise vraiment. Je ne voulais pas m’enflammer avant car la déception aurait été trop grande. Et la joie a été grande (rires) ! Le truc qui m’a marquée, c’est quand j’ai réalisé qu’il n’y avait jamais eu de Française en finale de Coupe du monde – les filles ont toujours perdu en demies – et que c’était complètement fou. Ça n’était arrivé à personne ! En plus, en Nouvelle-Zélande… Surréaliste.
Le danger est de se dire que c’est un match comme les autres alors que ce n’en est pas un. J’ai un prépa mental (Christian Ramos) en France depuis deux ans et il m’a appris ça. Il faut accepter que c’est un match exceptionnel, par contre il faut l’arbitrer comme un match « normal » (rires). Tout est psychologique.
On apprend beaucoup plus vite. Par exemple, la touche, ce n’est pas une révélation mais presque, je me suis sentie hyper à l’aise, j’ai senti que j’avais un niveau de performance élevé et je me suis dit qu’il fallait que je m’accroche après ma déception en tant qu’arbitre centrale. J’étais vraiment très mal, pendant deux jours je me suis complètement isolée du groupe. Ne pas remplir l’objectif, c’était dur. Ma famille venait pour les quarts de finale, « ils me rejoignent, ils ne vont même pas me voir arbitrer ! » Mon conjoint et ma fille m’ont portée pendant deux jours. Enfermée toute seule dans ma chambre, ça aurait été un calvaire (rires)…
Le mardi ou le mercredi on nous annonce que la finale est à guichets fermés [42 579 spectateurs, NDLR], alors que toute la Coupe du monde il n’y avait personne dans les stades. On nous fait croire que c’était merveilleux mais les gens n’en avaient rien à secouer. On s’est retrouvé avec un stade plein et on espère que ça va donner un élan différent au rugby féminin.
Il y a d’ailleurs eu un article de World Rugby qui est tombé comme quoi il fallait changer les choses et donner davantage de moyens pour son développement. Bill Beaumont [président de World Rugby, NDLR] était présent, il est venu nous saluer à la fin de la rencontre et je pense que ce match a donné une image très agréable. »
« On nous prépare tôt, on va à l’échauffement une heure avant, et on a dix minutes d’attente dans le vestiaire. Une horreur, les plus longues minutes de ma vie (rires). Ensuite, l’hymne « néo-Z » a cappella, le haka, tout ça je l’avais préparé. Ma collègue Holli (Davidson), la centrale, à la fin des hymnes elle nous tape dans la main, nous dit « bon match » et commence à partir ! Là, je l’attrape par le bras, « non, attends il y a le haka ! ». Au niveau du ressenti, sur la pelouse, le haka, je vous assure que c’est démultiplié. Les émotions, les visages…
Sur la situation du carton rouge [adressé à l’Anglaise Lydia Thompson à la 18e minute, alors que les « Red Roses » menaient 14-0, NDLR], j’ai plutôt les yeux en bas car elle (Portia Woodman) est proche de la ligne de touche. Je ne perçois pas le contact tête-tête mais je la vois tomber à côté de moi, carrément en train de trembler, le bras en l’air. Ce sont des signaux, c’était une commotion avérée, il n’y avait pas de discussion.
Elle était en dehors du terrain et le médecin est intervenu tout de suite. Je dis « il y a commotion de la 14 black, elle est prise en charge », et je dis tout de suite à l’arbitre vidéo (Ben Whitehouse) « il faut que tu vérifies ce qui s’est passé ». Elle n’était pas tombée raide comme ça… À la mi-temps, l’arbitre vidéo m’a confirmé qu’il n’avait rien vu au départ. J’ai envoyé le signal d’alerte. Quasiment tout s’est passé de mon côté, tout le match ! Au niveau attention, à la fin j’étais cramée (rires).
À la mi-temps c’est plutôt positif, personne ne conteste le rouge. On est plus là pour se rassurer, pas pour se faire peur. Dès la reprise quand les Blacks marquent [se rapprochant à 24-26, NDLR], pour moi c’est un tournant, elles reviennent complètement dans le match et, nous, on sent sous les poteaux que les Anglaises ont pris un coup sur la tête. La dernière action [pénaltouche anglaise contrée à la 80e+1, NDLR] ? J’ai pensé « elles vont encore faire un maul et ce sera réglé ». Ce qu’elles ont fait tout le match et ce qu’elles font depuis plusieurs années. Mais elles ont fait un en-avant…
Il n’y avait pas de défense mais il y a eu des essais dans tous les sens, c’était hyper ouvert. Il y a des gens qui en sont sortis en disant que c’était la plus belle finale qu’ils avaient jamais vue, hommes et femmes confondus. Souvent on a un 8-6 ou quelque chose du genre… On a vécu un moment complètement improbable, historique. »
« On profite du moment. Il y a l’explosion sur le terrain, dans le stade, on reste sur la pelouse. D’habitude, on rejoint les collègues en footing, là j’y suis allée un peu tranquille, en marchant (rires). J’étais quand même triste pour les Anglaises, que j’ai beaucoup arbitrées, surtout pour la capitaine Sarah Hunter, qui est quelqu’un d’adorable. Nous, on ne peut pas être euphoriques, on n’est pas championnes du monde, mais le devoir est accompli. Il n’y a eu aucune polémique de tout le tournoi et ça, c’est satisfaisant.
Nous, on n’a pas eu de médaille, rien. J’ai trouvé ça un peu fou. J’ai demandé : «- Mais on a quelque chose, nous ? – Bah non. – OK ». On est les exclues du truc ! Sur le moment ça n’a pas trop d’importance, mais ma fille, qui a vécu ça avec moi, si elle me pose des questions dans 20 ans, j’aurais au moins eu une preuve physique (sourire)… Pas grave, j’ai gardé mon drapeau (rires).
En plus de Benoît et Lucie [et du frère d’Aurélie Groizeleau, qui est passé pendant le Mondial, NDLR], il y avait aussi mon cousin et une amie, j’ai eu droit à une petite surprise à la fin du match : ils ont contacté une des arbitres du groupe pour faire entrer une bouteille de champagne dans le stade, on l’a bue dans le tunnel. La dernière soirée, on l’a passée tous ensemble dans une salle de l’hôtel, les arbitres, leurs familles, tout le monde…
J’ai beaucoup appris sur mon arbitrage et sur moi-même. En une semaine, j’ai réussi à monter tout en haut après avoir été au fond du seau, et ça ne pourra que me servir dans la suite de ma carrière. Une carrière, ce n’est pas linéaire, on n’est pas tous Antoine Dupont à être toujours là-haut [on lui fait remarquer qu’il a pris un rouge contre l’Afrique du Sud, NDLR]. Ah oui, c’est vrai, effectivement (rires).
Je suis sortie de cette Coupe du monde en me disant « vivement la prochaine ». Et pourquoi pas, dans deux ans, dans trois ans, viser le Top 14 ?”

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