La conjonction des calendriers offre parfois des éclairages singuliers sur les tractations qui agitent le rugby français. Samedi, Matthieu Jalibert a ainsi croisé la route du Racing 92 à Chaban-Delmas, un club qui s’était montré intéressé par le profil de l’ouvreur international lorsque ce dernier a exprimé, cet été auprès de son entourage, ses velléités de départ alors qu’il est sous contrat en Gironde jusqu’en 2025.
Si aucune des parties prenantes ne s’est finalement manifestée pour…
Si aucune des parties prenantes ne s’est finalement manifestée pour l’heure, un tel dossier n’aurait pas pu être finalisé sans le versement d’une substantielle indemnité de transfert versée par les dirigeants franciliens à leurs homologues bordelais. Une transaction à l’image de celles qui ont accompagné par le passé les changements de couleurs du Toulousain Cheslin Kolbe vers Toulon à l’été 2021, pour un montant estimé entre 1 et 1,5 M€, ou de Cameron Woki vers le Racing 92, pour près de 600 000 euros, lors de la dernière intersaison.
Une liste non exhaustive dessinant l’émergence d’une sorte de marché de transferts officieux alors que l’économie du rugby n’est pas structurée pour en permettre un…
Or par un curieux hasard d’agenda, il se trouve que la question de l’intégration de ces fameuses indemnités de transferts au salary cap a justement fait l’objet de discussions animées lors du comité directeur de la Ligue nationale de rugby mardi dernier. Un sujet qui avait été inscrit à l’ordre du jour mais qui n’a finalement pas donné lieu à un vote en raison des divergences de vues séparant les présidents. « La Ligue a botté en touche », explique un président de club : « Ça fera l’objet d’autres discussions. » Probablement lors du prochain bureau, dans quelques semaines…
Pourquoi corréler ces négociations de palais et le sort d’un joueur tel que Matthieu Jalibert direz-vous ? Parce que si les indemnités de rupture anticipée de contrat versées entre deux clubs devaient intégrer le salary cap d’une manière brute et basique, cela porterait un coup d’arrêt au phénomène amorcé ces dernières saisons par le biais de ces pratiques. Conséquence parmi d’autres, ça contraindrait sans doute aussi l’ouvreur à aller au terme de son contrat…
La raison de cette déduction ? Les dix plus gros clubs du Top 14 ayant déjà exploité plus de 90 % des latitudes offertes par le salary cap (10,7 millions d’euros cette saison), ils ne seraient plus en position de digérer des sommes qui s’élèvent à plusieurs centaines de milliers d’euros sans se mettre en infraction avec une législation contrôlée par le salary cap manager de la LNR…
« C’est le but », confirme un agent sportif bien implanté dans le paysage français : « La Ligue veut faire en sorte que certains ne puissent plus faire ce qu’ils veulent. Quand on signe un contrat, il faut le respecter. Sinon, ça finira comme au football avec des joueurs qui voudront partir à tout moment ou qui feront la grève de l’entraînement. Certains se comportent parfois comme des enfants gâtés… »
La Ligue a d’ores et déjà exploré des pistes pour contrôler cette dérive. Dans une volonté de compromis, l’une d’elles consisterait à reverser dans les limites du salary cap la part de l’indemnité supérieure aux sommes brutes qu’aurait dû percevoir le joueur s’il était allé au bout de son contrat. Une autre impliquerait de ne reverser dans la zone sous contrôle uniquement les sommes qu’aurait perçues un joueur sous contrat pendant plusieurs saisons que lors de la première année.
Une telle option n’a cependant pas permis de susciter l’unanimité. Lors du dernier comité directeur, le président de Toulon Bernard Lemaître est ainsi monté au créneau pour clamer son opposition à une telle mesure, allant même jusqu’à agiter le spectre de démarches en justice si la Ligue devait pousser plus en avant ce projet.
« Je pense avoir été assez convaincant pour avoir été rejoint par d’autres présidents », a-t-il réagi en fin de semaine. Si les dirigeants du Stade Rochelais se montrent bien plus mesurés, son homologue du Racing Jacky Lorenzetti partage une position qui ne laisserait pas non plus insensible l’influent toulousain Didier Lacroix. Mais aussi emblématiques soient-ils, les contours des visages de ces présidents ne dessinent pas une majorité sur un sujet qui sera voté par le Top 14 et la Pro D2.
« Il y a quand même quelques transferts intempestifs de joueurs que certains ont fait bouger », constate ainsi Bernard Pontneau, président d’une Section Paloise qui a par exemple laissé filer Baptiste Pesenti, au Racing à l’été 2021, contre une indemnité dans une allusion au rôle de certains agents : « Est-ce qu’on laisse faire ça ou est-ce qu’on réagit ? Mais la question est plus complexe que cela. Plus globalement, est-ce qu’un joueur doit remonter dans les actifs d’un club et être valorisé à ce titre ? Moi, je ne pense pas. »