Jean-Baptiste Guégan, l’Arabie saoudite vient d’obtenir les Jeux asiatiques d’hiver en 2029. Quelle est votre première réaction à cette annonce?
Cette annonce peut surprendre. Elle a fait sourire. Pour moi, c’était prévisible mais je m’y attendais un petit peu plus tardivement. L’engagement sur les sports d’hiver, je la voyais plutôt sur la décennie 2030. L’Arabie saoudite aujourd’hui est comme le Qatar il y a 20 ans, elle est candidate à tout. Et on a vu avec Beijing 2022 que l’on pouvait organiser des Jeux olympiques d’hiver sans neige naturelle. Aujourd’hui, la vraie question est technique. Evidemment cela pose des questions politiques et soulève des interrogations environnementales et énergétiques. Mais c’est possible et l’Arabie saoudite nous le montre.
A l’heure où le Qatar fait face à de nombreuses critiques en marge de la Coupe du monde 2022, pensez-vous que le royaume saoudien fait une erreur dans sa stratégie de soft power?
Il n’y a pas plus mauvais timing, en pleine campagne de boycott en Europe et en Occident de Qatar 2022, que de gagner les Jeux asiatiques d’hiver. C’est non seulement une erreur de timing mais cela va aussi poser problème. Non seulement à l’Arabie saoudite mais aussi à ceux qui l’ont désigné comme organisateur. Je pense notamment au comité olympique asiatique. Mais est-ce que cela va affecter leur soft power? J’ai envie de dire que non pour une raison très simple. Si l’on regarde le Qatar, un bad buzz reste un buzz. Et en regardant le développement et l’évolution de ce pays, finalement cela lui a plus servi que desservi.
L’exemple des échecs du Qatar peut-il servir à l’Arabie saoudite?
Ce qui est intéressant c’est que finalement les échecs du Qatar dans sa communication ou dans son incompréhension des Européens à demander des évolutions sociales et sociétales, cela doit servir l’Arabie saoudite. Je pense que l’Arabie saoudite, dans sa stratégie, l’a anticipé. Le fait que cela se passe à NEOM, une enclave au nord-ouest du pays juste en face de l’Egypte c’est quelque chose. On crée une enclave à la manière de Dubaï dans laquelle on va pouvoir avoir une libéralité plus grande et des valeurs plus proches des valeurs occidentales.
Cela se tiendra dans un contexte où les touristes du monde entier pourront être acceptés sans avoir à subir les contraintes fortes du reste du Royaume. C’est aussi une réponse de Mohammed ben Salmane (le prince héritier, NDLR) à sa jeunesse et à ses problèmes. Maintenant je pense aussi qu’ils vont tomber dans les mêmes problèmes et les mêmes errements que le Qatar. C’est-à-dire des difficultés à accepter que le monde entier regarde ce qu’ils font. Surtout dans un contexte où avoir les Jeux asiatiques d’hiver dans une zone où il doit neiger en moyenne deux jours… et encore les bonnes années. Cela va poser de vraies questions. C’est le meilleur moyen d’attirer l’attention des ONG et ceux qui étaient critiques. Je ne suis pas sûr qu’ils soient prêts à y faire face.
Après avoir plutôt bien négocié son développement dans le sport avec des investissements raisonnés sur le Dakar, la boxe ou encore le rachat de Newcastle, l’Arabie saoudite a-t-elle commis une erreur selon vous en se lançant à l’assaut des sports d’hiver?
En terme d’image en Occident et dans les pays les plus sensibles à ces questions sociétales, cela peut être l’étape de trop. Maintenant cela s’inscrit dans une stratégie plus globale. On a vu ce que les Jeux d’hiver permettaient de faire notamment en Chine.
C’est exactement ce que veut faire l’Arabie saoudite. C’est une approche globale, une approche omnisport. Et c’est aussi dans des sports où il y a de moins en moins d’acteurs capables de peser.
Effectivement cela choque! Imaginer que l’on puisse faire du ski dans le désert c’est ce qui va être retenu. Mais une fois qu’on aura dit cela, on va voir que l’Arabie saoudite est capable de construire littéralement une station sortie de nulle part. A la manière de ce qu’avait fait la Russie à Sotchi. Là cela va poser d’autres questions.
Aujourd’hui, l’Arabie saoudite joue son avenir et l’après rente énergétique liée au pétrole. C’est exactement pour cela qu’il y a NEOM. C’est pour ouvrir le pays, le développer et faire venir les investisseurs extérieurs. C’est à cela que sert ce projet. Il faut voir les Jeux asiatiques d’hiver comme un accélérateur d’aménagement du territoire saoudien. Quelque chose qui va permettre de montrer ce que l’Arabie saoudite a à offrir. Cela va lui offrir une palette supplémentaire. C’est l’attention mondiale qui va permettre aux investisseurs de venir et de financer ce projet NEOM que l’Arabie saoudite est aujourd’hui incapable de financer. En clair, en terme de communication le bad buzz va être intense. Mais est-ce que derrière cela va servir l’Arabie saoudite? J’ai bien peur que oui.
Mais pas seulement…
Cela pose aussi la question de la responsabilité des organisations internationales du sport. Elles devraient peut-être prendre en compte, d’abord la question énergétique et environnementale. Ensuite la question de l’intégrité et puis accessoirement la question de leur responsabilité géopolitique.
A quoi peut-on s’attendre de la part du régime saoudien pour ces sports d’hiver? Vont-ils la jouer sobre ou au contraire essayer d’en mettre plein la vue au monde?
A partir du moment où vous êtes prêts à construire une ville alors qu’aujourd’hui NEOM, c’est un terrain vague. Je vous invite à aller voir sur Google Earth. Quand vous faîtes cela, avec un projet quasi utopique dans une zone qui reste désertique, vous êtes en situation de montrer que vous êtes capables de faire fi de toutes les contraintes techniques et climatiques pour faire ce que vous voulez.
Il y a aussi un côté démiurgique (être le créateur d’un tout, NDLR) qui correspond bien à Mohammed ben Salmane mais il y a la manière de dire au monde: ‘On peut le faire. Regardez ce qu’a fait Dubaï, nous cela sera plus grand et plus fort’. Il y a une question d’ego également. La dernière chose à considérer dans ce programme d’organisation des Jeux asiatiques d’hiver, c’est dans la continuité de la probable candidature pour la Coupe du monde 2030.
Est-ce une sorte de répétition grandeur nature en vue de se mêler à la lutte pour l’obtention d’un Mondial de football voire les Jeux olympiques?
Exactement! C’est de la même manière que la France a obtenu la Coupe du monde de rugby et organise dans la foulée les Jeux olympiques 2024, le Japon a fait la même chose (Rugby en 2019 et JO en 2020) et le Brésil a eu le Mondial 2014 de football puis les Jeux olympiques en 2016. Aujourd’hui, les états qui candidatent essayent d’avoir deux événements consécutifs pour faire le calendrier international.
Cela sert à capter l’attention internationale pendant quasiment une décennie. Les Jeux asiatiques d’hiver vont servir à cela pour l’Arabie saoudite. La candidature de la Coupe du monde 2030, s’ils sont capables d’y répondre favorablement au côté de l’Egypte et de la Grèce, même si j’ai des doutes, s’inscrit dans cette logique-là. Sachant que le royaume saoudien a déjà obtenu les Jeux asiatiques d’été en 2034. Là on a une nouvelle preuve de cette capacité à organiser ce dont ils rêvent tous, ils l’ont dit clairement, l’obtention des Jeux olympiques d’été durant la décennie 2030. Là on atteindrait encore un autre niveau car on ferait de l’Arabie saoudite l’un des piliers du sport mondial à côté des puissances traditionnelles et historiques comme la France, les Etats-Unis ou l’Allemagne.
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