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L’humoriste revient sur scène avec son sixième spectacle – D’ailleurs – diffusé ce vendredi 20 janvier 2023 sur Canal+. L’occasion de faire le point avec un artiste pas vraiment comme les autres.
Pour un artiste qui ne vit que pour la scène, la crise sanitaire a été une véritable torture. Gad Elmaleh est de cette caste. Son dernier spectacle, D’ailleurs, diffusé ce vendredi 20 janvier 2023 sur Canal+, a été peaufiné durant le premier confinement.
Par obligation. Alors quand il a été de nouveau possible de se frotter au public, en live, l’artiste, qui vient de sortir son film le plus personnel – Reste un peu – s’est livré comme jamais: le passage de la cinquantaine, la paternité, la religion, les USA. Entre sens de l’observation et autodérision, Gad Elmaleh fait toujours mouche.
C’est à l’hôtel Yelo, sur l’avenue Jean-Médecin à Nice, que nous avons passé plus d’une heure en tête à tête avec un homme simple, sain, drôle, qui se préparait à monter sur scène, à Menton, au théâtre Francis-Palmero.
Est-ce le spectacle le plus intime depuis vos débuts?
Oui. Je crois que la manière dont je l’aborde est différente, j’ai une maturité qui fait que j’assume plus facilement certains sujets, ça se ressent. Si j’avais abordé tout le chapitre des religions il y a dix ans, j’aurais été plus fragile pour le présenter au public. Là, non seulement je touche à des sujets qui peuvent crisper mais je m’en amuse. Je me sers des trois religions majeures, le catholicisme, le judaïsme et l’islam, pour les moquer avec affection. Il faut que je les dribble, que je les feinte. C’est mon spectacle le plus intime, le plus personnel.
Aborder le sujet des religions dans votre spectacle était-il quelque chose qui vous inquiétait?
C’est un sujet qui m’habite. En décembre, j’ai rencontré le Pape. (Il marque une pause) Déjà cette phrase, elle est folle. Tu imagines, la veille de le rencontrer j’ai dit à des potes: ‘’Demain, je ne peux pas être avec vous, je vois le Pape’’. (rires) Cela participe d’une démarche personnelle: la spiritualité, la quête de sens, l’intérêt pour le christianisme, l’histoire avec la Vierge Marie. Tout ça, je l’aborde dans mon dernier film, très personnel, Reste un peu, qui parle de ça, de ma conversion au catholicisme. Dans le spectacle, mon intérêt pour la spiritualité est traité avec humour, avec des gags. Mais ce sont des choses que je vis.
Le fait d’être né au Maroc, d’avoir été élevé dans une famille juive, vous permet-il d’aborder ces thèmes plus facilement?
Pour que ce soit accepté, il faut une forme de légitimité, le fait d’être né dans un pays musulman, d’avoir été éduqué dans une famille juive, d’avoir côtoyé des chrétiens et d’étudier la théologie, ça me donne une forme de légitimé. Il y a de l’affection dans ce que je dis sur les religions dans le spectacle. Cela a plus d’impact de la part d’un juif né en terres d’Islam de dire à un catholique de s’assumer en tant que tel. Je ne fais pas de l’évangélisation par contre, pas du tout. (rires)
“J’avais plus de 45 ans quand je suis parti aux USA, je ne vais pas percer là-bas à 60 ans, il faut le dire. Je me suis éloigné de mon public pour mieux le retrouver. J’ai fait une sortie d’autoroute et je suis revenu à la maison avec beaucoup d’amour, beaucoup d’affection.”
Vous parlez aussi du rêve américain dans ce spectacle, de votre expérience d’artiste là-bas. C’était l’un de vos rêves?
Oui et non. J’ai eu la chance de faire des salles, des comedy, des talk-shows, mais il me manquait la connexion avec le public, la simplicité. J’avais une image d’Épinal du stand-up aux USA. Je voulais me retrouver chez Jimmy Fallon. C’est comme celui qui rêve d’aller sur une île déserte mais une fois que tu es sur l’île déserte, elle est déserte… J’ai vécu ce sentiment car il me manquait l’essentiel: mon oxygène affectif, artistique et créatif. Et cet oxygène, c’est la France. Je n’avais pas ma famille, mes enfants, mes amis. J’étais seul. Il y avait un immense plaisir d’un côté et une immense solitude de l’autre. Mais j’ai beaucoup appris car, quand je suis revenu en France, j’étais encore plus fort sur scène.
Vous le ressentez?
Oui. C’est comme un basketteur qui va en NBA pendant deux ou trois ans, quand il revient, ce n’est plus le même joueur. Il est plus efficace. J’avais plus de 45 ans quand je suis parti aux USA, je ne vais pas percer là-bas à 60 ans, il faut le dire. Je me suis éloigné de mon public pour mieux le retrouver. J’ai fait une sortie d’autoroute et je suis revenu à la maison avec beaucoup d’amour, beaucoup d’affection. Et c’est plus simple. Ma vie est plus simple maintenant. Quand tu commences à avoir de la notoriété dans ce métier, tu te protèges. Tu es un peu paranoïaque. Mais plus tu t’ouvres, moins tu as de souci en fait et, surtout, tu t’empêches de rencontrer des gens bien en te protégeant trop.
On sent que votre présence sur scène est différente. Est-ce que cela fait partie de ce que vous avez appris aux USA?
Oui, je suis le fil de mes idées, je ne suis plus dans l’interprétation, c’est plus fluide et naturel, je viens pour vous dire des choses. C’est aussi ça d’avoir le micro à la main, c’est une manière de donner une importance quasiment solennelle à la parole. C’est ça, en fait, le stand-up.
Est-ce facile de vieillir quand on fait de l’humour?
C’est ma réalité. J’ai pris le parti d’être au contact de la nouvelle génération car j’en ai besoin. C’est comme avec tes enfants, tu te rends compte de quand tu es ringard grâce à eux. Ça te remet en place quelque part. Voir les jeunes, ça t’oblige de ne pas faire des trucs à l’ancienne. Je crois que l’on aura de moins en moins de place pour le côté sketch très écrit mot à mot avec des personnages et des dialogues imaginaires. En étant au contact des jeunes dans les comedy club de Paris, le Paname de Kader Aoun et le Fridge de Kev Adams, c’est là que je trouve les jeunes qui font mes premières parties.
Vous parlez de votre âge dans le spectacle, jusqu’à quel âge peut-on faire rire?
Vieillir ne m’effraie pas mais je m’interroge. Jusqu’à quel âge peut-on monter sur scène et faire des blagues? C’est légitime de se poser ce genre de questions. Ce n’est pas au public de décider, il y a un déclic à un moment donné et, si on perd la connexion, il faut arrêter. Ça ne veut pas dire que c’est mal d’arrêter. Mais je n’en suis pas là, j’ai encore des choses à dire. Cela dit, je suis pragmatique: si j’arrête, je fais quoi? Je ne sais faire que ça, être sur scène. Je vis sur scène. C’est ça qui me passionne.
C’est votre sixième spectacle sur scène, lequel a été le plus dur à écrire?
Le prochain. (rires) Il faut inventer, déjouer les trucs attendus, être inventif. Le prochain est le plus dur mais c’est aussi le meilleur. (rires)
Est-ce que vous regardez vos spectacles?
Je suis obligé quand on fait le montage mais c’est compliqué, c’est difficile de se voir sur scène. A part sur ce qui est drôle et pas drôle, je n’ai pas de recul. C’est un métier où il faut écouter les autres.
Quel regard portez-vous sur votre célébrité?
À mes débuts, cela ne m’effrayait pas car je l’attendais. Aujourd’hui, ça ne m’effraie plus car j’ai compris comment naviguer. Mais au milieu, quand ça avait pris beaucoup d’ampleur, je me posais des questions existentielles: est-ce que c’est ça que je veux? Parfois, c’est vertigineux. Le plus important est de faire confiance mais de ne pas trop croire ce que l’on te dit. Tu as beaucoup de gens qui sont là par intérêt quand tu es célèbre… Mais quand tu traverses des épreuves, comme l’histoire du plagiat, tu fais le tri, le ménage. Finalement, ça m’a beaucoup apporté car j’ai su qui étaient mes potes.
Ça a été un moment difficile, l’affaire du plagiat? (1)
Oui, ça n’a pas été facile, surtout dans le show-business. Je cite Tupac (rires): “Ce n’est pas parce qu’il m’a perdu comme ami qu’il m’a gagné comme ennemi”. Mon cœur a été blessé par certaines personnes, des gens connus. Certains, quand j’avais le plus besoin d’eux, n’étaient pas là… Mais ça existe dans toutes les corporations. Ce sont des microsociétés. Les voiles mal attachées, dans les premières tempêtes, sont les premières à lâcher. Tu le prends dans la gueule au début mais ça fait partie du métier. Quand on fait ce boulot, il faut se préparer à être trahi. Il y a des gens dans ce métier, ou autour de ce métier, qui n’ont pas de face. Ils sont amnésiques. Je ne me fais plus d’illusion, je suis plus méfiant.
Est-ce que les critiques vous atteignent?
Ça dépend. Quand c’est constructif, ça sert. Tout ce qui est excessif est dérisoire. Sur les réseaux sociaux, il faut mettre au même niveau ceux qui veulent te tuer et ceux qui veulent t’épouser. Twitter, c’est le seul endroit au monde où un mec bourré et un Prix Nobel peuvent s’exprimer avec le même nombre de caractères. Donc, en ce moment, je suis dans une sorte de détox des réseaux sociaux, je lève le pied.
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact dans votre processus créatif?
Le positif est venu du fait que j’avais des sujets à jouer et la crise m’a contraint à cogiter, à roder, à peaufiner. Je me suis rendu compte que pour tous mes prochains shows, je prendrais plus de temps à livrer. Ce show a cet aspect plus fluide parce qu’il a été mariné par la force des choses. C’est un spectacle malaxé, plus abouti.
Votre humour d’observation est toujours là: les groupes WhatsApp, l’enseignant de votre enfant, les réseaux sociaux… Comment se passe votre écriture?
J’ai trois phases dans mon écriture. D’abord, j’ai ce que j’appelle l’impulse, c’est ce qui me saute aux yeux, au ventre. C’est l’observation première. Quand on s’est donné rendez-vous pour cette interview, on a échangé sur WhatsApp et on a parlé de nos photos de profil et c’est un point de départ créé par la réalité. Pourquoi certains ont Batman en profil et d’autres Clint Eastwood? Ensuite, tu peux partir sur tous les délires. La deuxième phase, c’est tout ce que j’écris dans mon téléphone [il sort son portable et nous montre de nombreuses notes, ndlr]. J’ai noté des choses sur la lourdeur, la perte de l’ouïe, les expressions toutes faites mais stupides comme comparer le confinement à une prison ou un cambriolage à un viol, etc. Enfin, je développe ces différentes idées et j’essaie de les creuser et de trouver un fil conducteur.
Il y a beaucoup d’autodérision dans votre humour, c’est votre marque de fabrique?
C’est obligatoire. Avant, par exemple, je tournais toujours autour du pot quand je voulais aborder Monaco, je n’osais pas [Il a été en couple avec Charlotte Casiraghi et de cette union est née un enfant, Raphaël, en 2013, ndlr]. Plus tu passes par des détours, plus les gens vont essayer de trouver du scoopito (sic). Alors que si tu abordes franchement les choses, tu ne crains rien. Ce n’est pas stratégique, c’est parce que j’ai envie d’en parler. C’est ma vie, c’est marrant. Mon fils a 9 ans et il a une grand-mère qui est à Monaco et l’autre qui est ma mère, c’est la vérité. Je charrie avec affection, je pointe seulement du doigt le décalage. Ce qui m’intéresse c’est le regard de ma mère sur le Palais Princier plutôt que de raconter la vie en Principauté car c’est mille fois plus drôle de raconter une mère marocaine qui rencontre le Prince de Monaco…
La guerre en Ukraine, la crise sanitaire, l’inflation, le dérèglement climatique. On vit une époque assez triste, est-ce que cela rend plus important le fait de faire rire les gens?
Non seulement ça a plus d’importance et d’impact, mais il y a une quête de sens de la part des gens quand ils viennent te voir. Il faut être dans l’essentiel, j’ai le sentiment que ça touche les gens. Je sens le public très attiré par ça, il a envie de rigoler, certes, mais les valeurs sont importantes. Quand je fais une vanne sur scène, il y a un rire collectif. Les gens sont contents d’être ensemble. Je n’avais pas ce sentiment avant car j’étais un enfant gâté de la scène: on affichait, on était complet, je jouais, je ressortais mais je ne mesurais pas la chance que j’avais de jouer. Je suis plus reconnaissant de jouer aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous fait rire?
La surprise, l’imprévu. Si je vois un spectacle, j’ai le regard professionnel sauf pour les gens qui sont drôles de manière naturelle. Je peux apprécier un spectacle pour sa qualité d’écriture, de mise en scène, sans éclater de rire. Les fulgurances des gens me font rire. Il y a une jalousie saine dans notre métier mais c’est un métier très, très compétitif.
Vous remontez également sur des petites scènes à Paris, est-ce que c’est plus stressant qu’une grande salle?
Tu es plus stressé de faire un bide dans une petite salle. Tu es tellement proche du public que tu vois tout, tout de suite. Il faut avoir l’humilité de se dire qu’une petite salle est une salle de sport et qu’un Zénith ou le Palais Nikaïa, ce sont les Jeux Olympiques. Il ne faut pas se formaliser sur un bide. Et encore, j’ai le crédit de la notoriété. Les gens sont contents, d’entrée, de me voir, mais ensuite il faut leur donner à manger. Ils en attendent plus aussi. Il faut être singulier dans ce que tu proposes au public. Tu ne peux pas raconter la même chose que tout le monde. La vérité, c’est fort. Il faut assumer ce que tu es.
Avez-vous eu, une fois, le sentiment de l’imposteur?
On l’a tous eu. J’appelle ça le syndrome du blédard. Quand j’ai présenté les César, j’avais mon smoking, je faisais des blagues et je me demandais si j’étais à ma place. Je ne suis pas né dans une famille d’artistes, ni de gens connus, ni avec du fric, donc, forcément, tu as peur. Tu te demandes ce que tu fais là, mais ton public et ton travail te prouvent que tu avais raison. Mais j’ai toujours le syndrome du blédard dans la vie de tous les jours: je vole des petits shampoings dans les hôtels. (rires)
D’ailleurs, ce vendredi 20 janvier 2023, à 21h, sur Canal+.
1. En octobre 2017, Gad Elmaleh est accusé par la chaîne YouTube anonyme CopyComic, à l’instar d’autres humoristes français comme Tomer Sisley, Jamel Debbouze ou encore Arthur, d’avoir plagié des humoristes américains dans ses spectacles.
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