RUGBY La Fédération néo-zélandaise, qui gère avec soin l'image et les droits de son trésor national, a noué cette année deux partenariats contestés au pays
Les All Blacks. Trois mots magiques quand on cause rugby. Leur seule évocation suffit à vous faire ressentir des choses le long de votre échine. Ses joueurs mythiques comme Lomu, Carter ou McCaw, ses humiliations infligées aux quatre coins du globe et son haka, la Nouvelle-Zélande est incontestablement l’équipe la plus connue du monde. Au pays, elle constitue même un véritable patrimoine national qu’il convient de gérer comme tel. La Fédération (NZRU) le sait et s’y emploie depuis longtemps, mais semble se trouver aujourd’hui à un tournant.
La NZRU a commencé à capitaliser sur la marque All Blacks à la toute fin des années 80. Réticente au départ, elle dépose finalement le nom « All Blacks », avec sa fameuse fougère, en 1991. « Cette initiative est notre première mesure concrète visant à créer une marque, retraçait le boss du rugby kiwi de l’époque Steve Tew dans un papier des Echos, en 2011. Nous la protégeons depuis avec véhémence. »
La fierté et l’union de tout un peuple derrière son équipe nationale transpirent à chaque coin de rue là-bas. On le ressent dès qu’on y pose le pied. « Le rugby est le sport numéro 1, il est pratiqué dès l’école et tout mène aux All Blacks. C’est presque une religion, témoigne Raphaël Lagarde, un préparateur physique français qui s’est occupé de la franchise Hurricanes pendant près d’un an, entre 2016 et 2017. Je ne sais pas s’ils en ont pleinement conscience, mais c’est l’équipe qui dans le monde a su créer la plus grosse culture autour de son maillot. »
Peut-être pas au départ, mais ils ont vite appris. La professionnalisation naissante du rugby en 1995 accélère le mouvement. Jonah Lomu devient une star mondiale dans la foulée de la Coupe du monde en Afrique du Sud, et fait prendre conscience à la Fédération du potentiel commercial de ses athlètes hors-normes. Elle se rend compte également que son modèle pyramidal où tout converge vers la grande équipe nationale a besoin d’un financement de plus en plus important. Former et surtout garder les meilleurs joueurs du monde sous contrat sur son île, ça se paye. Cher. Alors il faut des revenus à la hauteur.
En 1997, un contrat XXL de 20 millions de dollars est signé avec Adidas, le deuxième plus important de l’époque tous sports confondus derrière le Real Madrid. Un tour de force pour une équipe d’un sport pratiqué par 15 pays dans le monde. Le journaliste néo-zélandais Ian Borthwick, dans le milieu depuis 35 ans, rembobine:
Ce développement s’est poursuivi de manière exponentielle dans les années suivantes. La NZRU a signé de nombreux contrats avec des entreprises étrangères et locales, faisant grimper ses revenus annuels de 48 millions d’euros en 2007 à 160 millions dix ans plus tard, selon les bilans publiés par la Fédération. Les partenariats sont financiers, bien sûr, mais pas que. Le New Zealand Herald avait consacré en 2013 un article au « back-office » de la Fédé, et prenait l’exemple de la banque locale ASB, avec qui l’accord comprenait l’organisation de séminaires sur l’innovation et l’esprit d’équipe.
Peu à peu, la NZRU, parfois surnommée « The Firm » («La Firme » en VF) est devenue experte en stratégie commerciale. Mohed Altrad, qui vient de signer le coup de l’année en devenant le nouveau sponsor maillot des Blacks à partir de janvier prochain, ne tarit pas d’éloges sur son sens des affaires, toujours conduit, insiste-t-il, avec un grand sens moral. « Ce ne sont pas des commerciaux caricaturaux comme j’ai pu en rencontrer dans ma vie, style ” j’ai un produit, je vous le vends et j’en tire le maximum “, nous explique-t-il. Il y a toujours cette élégance de l’âme, cette humilité, cette simplicité. »
Au-delà de « l’opportunité unique de s’associer à la plus belle marque au monde », l’homme d’affaires, patron du club de Montpellier, a été séduit par les manières des Kiwis. Ces derniers savent transmettre ce qui fait leur essence. Altrad a été ébloui, notamment, par sa rencontre avec Sean Fitzpatrick lors d’un petit-déjeuner à Barcelone. L’ancien capitaine et champion du monde 1987 lui a fait un haka rien que pour lui et son fils. Le milliardaire, 25e fortune de France en 2020 selon Forbes, raconte :
Mohed Altrad va afficher le nom du groupe éponyme sur le maillot de toutes les équipes nationales, de la sélection féminine aux moins de 20 ans. Il succède à l’assureur américain AIG, qui avait signé un contrat de 70 millions d’euros sur cinq ans. Le montant déboursé par Altrad pour les six années à venir n’a pas filtré, mais il serait du même ordre selon les médias anglais. « Ils vont intervenir chez nous, et ils vont aussi venir jouer à Montpellier. Il y aura des échanges de compétences, nos coachs vont aller là-bas, les leurs venir ici. Cette dimension fait qu’il n’y a pas de prix pour ça », justifie celui qui apparaît également sur les tuniques du XV de France.
Le voilà en tout cas plongé au cœur d’un sujet sensible. Car l’arrivée d’AIG en 2012 avait fait des remous au pays. C’était seulement la deuxième fois en 107 ans d’histoire que le mythique maillot s’offrait à un sponsor, après le brasseur Steinlager entre 1996 et 1998. Une évolution marketing loin de faire l’unanimité dans une population qui considère son équipe de rugby comme un trésor.
Les deux derniers projets en date de la NZRU sont d’ailleurs peut-être ceux de trop. En juillet, elle a noué un partenariat « performance » avec Ineos, dont le logo apparaîtra sur la partie arrière du short des équipes et sur le devant des maillots d’entraînement, contre 4,7 millions d’euros annuels. S’associer de la sorte avec le géant de la pétrochimie a fait bondir nombre d’habitants d’une île en première ligne face aux dangers du réchauffement climatique.
Plus explosif encore, l’annonce faite en avril au sujet de la vente de 12,5 % des droits commerciaux détenus par la NZRU au fonds d’investissement américain Silver Lake Partners, contre un joli chèque de 240 millions. La société californienne récupérerait aussi dans l’affaire le droit de négocier des contrats de merchandising et de diffusion dans le monde entier.
« Une opportunité passionnante et véritablement transformatrice qui peut profiter à l’ensemble de ce sport pour les générations à venir », a tenté de vendre le directeur exécutif de la Fédération, Mark Robinson, confronté à une baisse des revenus à cause du Covid (86 millions d’euros en 2020, soit -46 %). Mais les Néo-Zélandais n’ont rien vu de bien passionnant là-dedans, seulement un dangereux prédateur qui revendra ses parts au premier venu après avoir essoré le produit jusqu’à la dernière goutte.
Le syndicat des joueurs (NZRPA), qui dispose d’un droit de veto, s’est déclaré farouchement opposé au projet. Son président David Kirk, dont la voix porte en tant que capitaine de l’équipe championne du monde en 1987, craint une décision fatale sur le long terme au rugby néo-zélandais. « Les gens ont le sentiment que quelque chose qui leur est précieux a été sali et traité comme une marchandise. Clairement, cela altère pour eux un lien très émotionnel », prévenait-il auprès de l’AFP en mai. Pour le moment, le projet est gelé. Son issue dira beaucoup des intentions de la NZRU pour les années à venir.
Richie McCaw breaks silence on NZ rugby standoff, admits Silver Lake deal ‘scares’ him https://t.co/crHKC4skZx pic.twitter.com/ia2SRyPN8E
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« La Nouvelle-Zélande est à un tournant, observe Ian Borthwick. La recherche d’argent est un vrai sujet. La Fédération subit des pertes, et il est difficile de se maintenir tout en haut du rugby mondial dans ces conditons. En même temps, il y a un trésor à protéger. Il ne faut pas le monnayer n’importe comment. Les gens ont raison de protester et de dire attention. Les dollars c’est bien, mais il faut garder son indépendance. » On ne fait pas de business sans arriver un jour à ce dilemme.
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