Membre indéboulonnable de l’équipe de France en 1981, Philippe Dintrans n’a rien oublié de cette année qui a permis aux Bleus de renouer avec le Grand Chelem et la reconnaissance du monde du rugby. Entretien pour Le Quotidien Du Sport et Rugby Magazine.
Que vous reste-t-il de ce Grand Chelem de 1981 ?
L’histoire du Grand Chelem 1981 commence en 1980. Cette année-là, on n’avait pas été brillants. On avait terminé derniers et on rattaque le Tournoi des 5 Nations avec l’étiquette de dernier de la classe. Et Jacques Fouroux le savait. Il avait su trouver les mots pour nous motiver. Tous savaient que l’on devait faire de gros matches pour au moins être 3èmes du classement. C’était une grande source de motivation. On était des jeunes. En face, il y avait de gros bras avec les Gallois, les Anglais et les Irlandais. Il n’y avait que les Ecossais qui étaient à notre portée sur le papier. A partir de là, on a construit notre Grand Chelem.
Le fait de débuter par l’Ecosse était-ce une bonne chose pour monter en puissance ?
C’est sûr, mais il y avait des bons joueurs aussi. On a connu une belle entame avec 16 points en première période. On a pu gérer pour remporter ce match 16-9. Ça nous arrangeait bien. Ensuite, on se déplaçait en Irlande. On était moins favoris. Ça tombait de partout. Il faisait froid. Les Irlandais étaient des cogneurs. Il fallait se montrer à la hauteur.
Et à la pause, vous êtes devant les Irlandais…
C’est sûr que d’avoir un buteur comme Guy Laporte, ça aide. Il avait passé deux drops et deux pénalités. Il savait botter de n’importe quel angle. Ça permet de faire avancer la mêlée. On y croyait. D’ailleurs, je pense que l’on était les seuls à croire au Grand Chelem.
Quand avez-vous commencé à croire et à parler de Grand Chelem ?
Au dernier match contre l’Angleterre. Pas avant. On a vraiment compris que l’on y était. On ne voulait décevoir personne. Surtout pas nous. On avait fait le plus dur en remportant les trois premiers. On se donnait le droit d’une grande finale à Twickenham, le temple du rugby.
Le fait d’avoir fini derniers en 1980 vous a-t-il donné une force supplémentaire pour vous surpasser ?
Un an auparavant, on jouait la cuillère de bois. Et là, c’était la folie. On allait en Angleterre pour jouer un Grand Chelem ! C’était incroyable. Mais dans les derniers de la classe, il y avait des jeunes premiers de talent. Je me souviens de Didier Codorniou qui avait fait le cadrage-débordement qui évite quatre Anglais avant de glisser le ballon à Laurent Pardo pour l’essai.
Comment expliquez-vous le score de 16-0 à la pause en faveur de l’équipe de France face aux Anglais ?
C’était impressionnant au départ mais, après, ça a fondu comme neige au soleil. L’arbitre ne laissait plus rien passer. Jean-Pierre (Rives) s’énervait auprès de Mr Hosie, un Ecossais. On a fait ce qu’on avait à faire. Guy Laporte avait été extraordinaire avec des drops impressionnants. Les Anglais marquaient. L’arbitre les encourageait, mais la défense a été héroïque pour valider cette victoire (16-12).
Le coup de sifflet final a été long à arriver. A la fin, c’est la joie suprême. Tout le monde pensait que l’on était des jeunes cons. Certains pensaient que les anciens auraient pu jouer à notre place. C’était une source de motivation supplémentaire. On était à l’unisson. C’était formidable. On a eu le droit au banquet avec le nœud papillon. Peter Wheeler était même venu pour trinquer à nous. On avait fêté avec les Anglais.
Aviez-vous conscience de votre exploit à l’époque ?
Je me demande si on s’en rendait compte. Il n’y a que ceux de 1977 qui pouvaient savoir ce que ça représentait vraiment. Ce ne sont pas 15 équipes qui l’avaient fait avant nous. C’est dur de gagner un Grand Chelem. Il manque toujours quelque chose. Un petit détail qui peut tout chambouler. C’était un vrai délice à vivre. Puis le valider à Twickenham c’était spécial.
Quelle image gardez-vous de ce Grand Chelem ?
L’essai surprise de Pierre Lacans contre l’Angleterre. Il joue vite une touche avec Pierre Berbizier et trouve l’ouverture pour marquer. A la fin, je tombe dans les bras de Jean-Luc Joinel. Ce sont les Anglais qui sont venus nous relever. On était des jeunes heureux d’avoir gagné avec des gars impressionnants comme Paparemborde ou encore Bertranne. C’était un groupe exceptionnel.