Le navire tangue mais l’équipage s’agrippe au bastingage. Un mois après la condamnation en première instance de Bernard Laporte pour corruption, trafic d’influence et prise illégale d’intérêts, les clubs sont appelés à valider par référendum, de lundi à jeudi, la désignation de Patrick Buisson comme président délégué de la fédération française.
Le choix de Patrick Buisson, vice-président chargé du secteur amateur, c’est celui de Bernard Laporte. À un peu plus de huit mois du coup d’envoi de la Coupe du monde, le rugby français va donc pouvoir dire s’il souhaite faire le ménage avant le grand raout planétaire et tourner la page d’un…
Le choix de Patrick Buisson, vice-président chargé du secteur amateur, c’est celui de Bernard Laporte. À un peu plus de huit mois du coup d’envoi de la Coupe du monde, le rugby français va donc pouvoir dire s’il souhaite faire le ménage avant le grand raout planétaire et tourner la page d’un président marqué par les affaires ou s’il laisse à sa garde rapprochée l’opportunité de terminer son mandat jusqu’en décembre 2024.
Si le « non » à Patrick Buisson l’emporte, rien n’obligera le comité directeur de FFR à démissionner et à convoquer les élections générales que réclame Ovale Ensemble, le mouvement d’opposition conduit par Florian Grill. Les règlements autorisent le bureau fédéral à proposer un autre candidat.
Mais la situation de ce dernier carré de fidèles serait alors difficilement tenable. Confronté à un désaveu de la base, il s’exposerait alors à la pression maximale du ministère des Sports. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’Amélie Oudéa-Castéra se soit invitée au prochain comité directeur de la FFR vendredi.
Comme elle l’a fait avec Noël Le Graët, le président de la fédération française de football, la ministre des Sports est passée très vite à l’offensive contre Bernard Laporte. Aussitôt après l’annonce du jugement, le 13 décembre dernier, elle a affirmé que la condamnation de l’ancien entraîneur des Bleus « faisait obstacle » à sa mission à la tête de la fédération, même si son appel lui permettait de se prévaloir de la présomption d’innocence. Dans le bras de fer qui s’est engagé avec Bernard Laporte, elle est allée aussi loin qu’elle le pouvait juridiquement, exigeant des garanties sur sa mise en retrait. « Ce que nous devons avoir tous en tête, c’est que cette consultation n’est pas une formalité administrative, c’est un vrai temps démocratique qui est engageant. Il sera donc important d’en tirer des conclusions », a-t-elle rappelé vendredi.
Comment le « rugby d’en bas » a-t-il vécu cette condamnation et cette passe d’armes ? Depuis, le contexte ne s’est pas vraiment apaisé pour Bernard Laporte et, par ricochet, pour Patrick Buisson. Le flot d’informations concernant les écarts de Claude Atcher, l’ex-directeur du GIP 2023, révoqué pour son management brutal, éclabousse forcément le président de la FFR et des proches qui n’ont rien vu, rien entendu. De la même façon, les révélations du journal L’Équipe jeudi sur le rapport de l’inspection générale des finances concernant les bénéfices d’un Mondial qui ne rapporterait plus 200 millions mais, au mieux, 68 millions d’euros, entament le crédit d’un bureau fédéral qui n’a jamais posé beaucoup de questions sur la gestion d’Atcher.
Face à ces bourrasques médiatiques, Patrick Buisson n’a pas vraiment pris ses distances vis-à-vis de Bernard Laporte. Il a souligné le travail effectué par l’actuel comité directeur pour justifier son maintien et a appelé à l’union, estimant que « le rugby français avait besoin de stabilité et de sérénité » afin de protéger les Bleus. C’est l’argument massue développé par Patrick Buisson et son équipe : « une campagne électorale qui se prolongerait jusqu’au début de l’été fragiliserait les chances d’Antoine Dupont et ses camarades cet automne ».
La relation de causes à effets n’est pas évidente. On a plutôt le sentiment que l’actuelle gouvernance souhaite utiliser le XV de France comme un totem d’immunité. Mais il existe, il est vrai, le précédent de 1991, où la lutte pour le pouvoir entre les clans Jean Fabre, Albert Ferrasse et Robert Paparemborde avait plombé l’aventure des Bleus de Serge Blanco.
L’environnement est aujourd’hui très différent. Mais les deux camps ont conscience de l’enjeu de ce référendum. Bernard Laporte n’a plus de prérogatives à la FFR, en revanche rien ne l’empêche de mobiliser ses troupes en faveur de Buisson. Et il ne s’en est pas privé pour le faire. En face, Florian Grill a pu compter sur le soutien d’une majorité des présidents de Top 14 et Pro D2, hostiles au président de la FFR. Ils ont eux aussi battu le rappel des petits clubs qui gravitent autour d’eux. Un match est engagé. Ce n’est pas le moins important de l’année.