Il faudra attendre 10, 20, 30 ans pour mesurer la trace que laissera ce dimanche 18 décembre dans l’histoire du football, et dans l’imaginaire de millions de Français. Mais au moment d’attendre entre fébrilité et excitation ce France – Argentine, bouquet final de la 22e Coupe du monde de football, il suffit de se retourner pour être pris de vertige. Remonter le pont de 60 ans qui sépare du dernier doublé réussi par le Brésil de Pelé et Garrincha, dont les exploits en noir et blanc ont traversé les générations jusqu’à l’écran Youtube des plus jeunes.
Il suffit de lire qu’Hugo Lloris, en tant que capitaine, et Didier Deschamps, comme sélectionneur, peuvent devenir les premiers à lever le trophée deux fois consécutivement quand certains des plus grands rêvent de le toucher une seule seconde.
Pour la troisième fois en quatre grandes compétitions depuis 2016, l’équipe de France va disputer une finale, ce dimanche (16 heures) au stade Lusail de Doha. Le rendez-vous devient une habitude et il ne faudrait surtout pas s’y habituer. Dans le sport le plus pratiqué et le plus populaire sur la planète, la répétition, surtout avec 50 joueurs (!) différents, n’est pas un hasard. Elle récompense un vivier unique né du multiculturalisme français, et d’un système qui a su l’optimiser, de l’investissement du premier des bénévoles amateurs à un coach basque dont le pragmatisme ne cesse d’essorer les nouveaux scientifiques du sport.
Avec une doudoune plutôt qu’un short, plus de 20 millions de personnes souffleront dans l’Hexagone, comme en juillet 1998 et juillet 2018, derrière lui et la quête d’une troisième étoile. Pendant quelques heures, il sera question d’émotions plus que d’argent. Un comble quand, à plus de 5 000 kilomètres, le match sera célébré pour sa fête nationale par une start-up nation, le Qatar, habituée à lever les obstacles à coups de pétrodollars.
Ce samedi, dans l’auditorium d’un palais des congrès qui s’apprête à regoûter à l’immensité du vide, Didier Deschamps était loin de tout ça. Le Bayonnais a été rattrapé par d’autres maux de notre temps, la climatisation et le virus, quel que soit son nom : Covid, grippe ou rhume. Il est écrit que ce Mondial serait pour les Tricolores celui des aléas, débutés par les blessures de cinq titulaires potentiels (Pogba, Kanté, Benzema, Kimpembe, Lucas Hernandez) et terminés par un « coup de froid » qui a mis au tapis Upamecano et Rabiot contre le Maroc mercredi (2-0) et a enfermé dans leur chambre Coman, Varane et Konaté jeudi et vendredi. Le défenseur central William Saliba, 8 sélections et 36 minutes de jeu seulement dans la compétition (contre la Tunisie le 30 novembre), et les remplaçants habituels se tiendront quand même prêts en se souvenant que Randal Kolo Muani, buteur contre les Lions de l’Atlas, a profité au dernier moment de la fébrilité de Coman.
Deschamps « s’est adapté » et ça tombe presque bien. Il s’agit de son verbe préféré et sa faculté à le conjuguer, pour transformer une somme d’individus en machine footballistique durant cinq semaines, pourrait faire de lui, aujourd’hui, le plus grand sélectionneur de la planète. Les Bleus de 2022 attaquent cette finale sans l’impression de bloc indestructible construit en 2018. De l’Australie au Maroc en passant par le Danemark, la Pologne et l’Angleterre, ils n’ont jamais semblé tout maîtriser. Mais ils sont toujours là, portés par le talent unique de Mbappé et leur force offensive, par l’intelligence et l’enthousiasme de Griezmann, par les exploits de Lloris et l’assurance insouciante de leurs jeunes. Par leur foi en eux surtout.
La quasi-totalité du stade, ce dimanche, et des milliards de personnes sur la planète ne voudront eux qu’une chose : voir Lionel Messi soulever le trophée. Beaucoup moins spectaculaire que lorsqu’elle avait été transpercée par les Tricolores en 2018 à Kazan (4-3, en 8e de finale), l’Albiceleste construite pour le génie du gaucher est diablement plus combative et efficace. Les Bleus ne pourront pas se permettre de subir autant qu’en demi-finale au risque d’être punis par la qualité technique adverse.
L’Argentine, aussi, a souffert plus que de raison quand l’Arabie Saoudite (1-2), le Mexique (2-0), l’Australie (2-1) et les Pays-Bas (2-2, 4-3 tab) ont réussi à lui reprendre le ballon et à l’obliger à défendre avec des courses et de l’intensité. C’est l’espoir, immense, que peuvent nourrir les Français ce dimanche. « On a commencé cette compétition avec une seule mission en tête : aller le plus loin possible. Très peu y croyaient au départ », rappelle Hugo Lloris. Ils seront beaucoup plus à 16 heures.