rugby Le staff de l’équipe de France a levé le voile cette semaine sur l’un des secrets de sa réussite, l’utilisation des données à échelle industrielle pour l’aider à élaborer entraînements et stratégies de match
On connaissait « le pacte moral », « le chemin » ou encore « la flèche du temps ». Il est l’heure de faire un peu place dans le lexique du XV de France aux « data scientists » et aux « requêtes ». Après trois ans de travaux et fort d’une année 2022 de haut vol (grand chelem dans le VI Nations, victoires sur l’Australie et l’Afrique du Sud), le staff des Bleus a levé le voile cette semaine (enfin, en partie) sur l’un des secrets de sa réussite : l’utilisation des données pour préparer les entraînements de la semaine et les matchs à venir.
Les prémices de ce « plan de bataille technologique », comme le qualifie la Fédération, sont à chercher dans l’appétence toute personnelle de Fabien Galthié pour ce qu’on appelle « l’analytique », c’est-à-dire tout ce que peut offrir la technologie pour améliorer les performances sur le terrain, et dans sa rencontre avec le directeur général de SAS France. Cette entreprise est l’un des leaders mondiaux dans le domaine de l’intelligence artificielle, qu’elle met au service de sociétés spécialisées dans des champs aussi divers que la santé, l’environnement ou le renseignement. Après 46 ans d’existence, la voilà désormais plongée dans le monde du sport de haut niveau.
« On a discuté, Fabien a testé des choses, et puis quand il a été démontré qu’on pouvait apporter une vraie valeur ajoutée pour la préparation des matchs et la performance, on y est allés à fond », raconte le DG en question Jean-François Sebastian, présent à Marcoussis mercredi pour participer à l’officialisation du partenariat avec la Fédé. Fabien Galthié complète :
Pour se rendre compte de l’ampleur des données traitées, prenons l’exemple de la touche, choisie par Galthié et SAS pour se faire la main. L’entreprise a établi un historique de 1.438 matchs depuis 2019 (Top 14, U20, internationaux, dont 36 rencontres des Bleus), à partir duquel il a tout analysé et répertorié : les sorties de touche, la vitesse de libération, la position des joueurs, la distance des lancés, etc. Les résultats permettent de mieux cibler les forces et faiblesses de chacun et donc de réfléchir à des exercices spécifiques à l’entraînement. Ils offrent aussi la possibilité de savoir à quoi s’attendre lors du prochain match.
Ce galop d’essai a aiguisé l’appétit du sélectionneur. « On s’est mis à réfléchir sur tout, sans rien s’interdire. Cela nous a poussés très loin dans le champ des possibles », explique-t-il. Tous les autres secteurs de jeu ont donc ensuite été ajoutés. Chaque action individuelle (une passe, un placage, un jeu au pied, un soutien dans un ruck) et collective (une touche, une mêlée) est codée, et à chaque match, ce sont des millions et des millions d’informations qui entrent dans le système. Elles viennent s’ajouter aux données GPS collectées depuis longtemps déjà pour le suivi des joueurs, et nourrissent également une base de données qui va aider à mieux cerner les adversaires. Exploitée grâce à une plateforme unique, créée sur mesure par SAS pour la FFR, elle fonctionne comme un moteur de recherche, dans lequel le staff peut entrer des requêtes.
Le degré de précision des recherches est potentiellement assez dingue. Exemple livré par Nicolas Buffa, le directeur de la cellule analyse, dans le podcast Crunch de nos confrères de L’Equipe – et que l’on vous invite à écouter si le sujet vous intéresse. Le staff souhaite des informations sur les renvois au pied de l’équipe d’Australie, il tape « renvois Australie », puis il peut ajouter des filtres pour affiner : qui tape le renvoi, depuis quelle zone, à quel moment du match, à domicile ou à l’extérieur, dans un match gagné ou perdu, quand l’équipe mène au score ou est menée…
« On voulait un outil qui soit no limit, qu’on puisse poser toutes sortes de questions et croiser toutes sortes d’informations. Il faut juste apprendre à s’en servir, à creuser », expose le même Nicolas Buffa, cette fois à Marcoussis, avec un petit sourire devant nos mines interrogatives face au gigantisme du dispositif. Tout l’art de la cellule analyse, qui comprend aujourd’hui neuf personnes à temps plein dont le data scientist Jérémy Cheradame, est de sortir de cette masse de données une ou deux informations essentielles à partager aux entraîneurs, qui vont ensuite établir le plan de jeu et en discuter avec les joueurs.
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Pour la rencontre face à l’Afrique du Sud, samedi dernier à Marseille, une donnée importante était la différence de vécu international entre les deux équipes, largement défavorable aux Bleus (12 points contre 24, selon un référentiel rassemblant plusieurs critères). Dans les dernières minutes, avec les changements effectués et le carton rouge d’Antoine Dupont, le rapport était même de 7,4 contre un peu moins de 24.
« Grâce à la data, on savait que ça [l’expérience collective] on ne l’aurait pas, donc on a été cherché d’autres facteurs de performance, décrypte Galthié. On avait ciblé trois critères qui, si on réussissait à les cumuler, nous mèneraient proche de la victoire. On savait que cette équipe sud-africaine, quand elle perd, c’est que son adversaire l’amène à jouer dans ces zones-là, de cette manière-là, sur ce tempo-là. Et on a réussi. »
Plus parlant encore, le France-Nouvelle-Zélande de novembre 2021. L’histoire est contée par Nicolas Buffa et son collègue Manu Urdampilleta dans le podcast. Tout est parti d’une requête de Fabien Galthié dans le fameux moteur de recherche, « différence entre les équipes qui battent les Blacks et les équipes qui perdent contre les Blacks ». On ne fait pas plus basique, mais encore fallait-il y penser.
« Après deux jours de travail, on a réussi à sortir une info qui a été déterminante dans le gain de ce match, révèlent les deux hommes. C’était une donnée sur la durée de possession de balle de l’adversaire. » En résumé, les équipes battues par les Blacks gardaient le ballon pendant trop longtemps, et finissaient par s’exposer sur les turnovers. Les analystes ont trouvé à partir de combien de rucks et de temps de possession il fallait arrêter de s’exposer et se déposséder du ballon.
Les Bleus avaient remporté ce match 40-25, premier succès face aux Harlem Globetrotters du rugby depuis plus de dix piges, avec en prime le plus gros écart de points en leur faveur de l’histoire. « On avait l’impression d’avoir trouvé un élément important, et voir que ça se confirme en match c’est vraiment génial, décrit Urdampilleta. Ça n’arrive pas tout le temps hein ! » Pour nourrir leur réflexion et développer leurs compétences, les membres de la cellule analyse échangent régulièrement avec les staffs des équipes de France d’autres sports collectifs, notamment le basket, le handball, et depuis un et demi le football. Ils vont même visiter des clubs, en Angleterre (Arsenal par exemple en mai dernier), en Allemagne, en Espagne, pour voir ce qu’il s’y fait.
Côté rugby, le progrès est en marche, toujours. En ce mois de novembre, le XV de France a pu tester un nouveau joujou, le ballon connecté. Il permet de calculer la vitesse de vol et de rotation, les phases d’accélération et de décélération, le temps qu’il passe en l’air. De quoi étoffer encore la tentaculaire base de données. « On est en train de s’approprier cette technologie, qui va être intégrée dans l’analyse de la performance, indique Julien Piscione, responsable du département accompagnement de la performance. On travaille aussi sur le protège-dents connecté, pour mieux percevoir la dimension combat. C’est une voie intéressante car il y a aura des liens entre les habilités techniques des joueurs et leur capacité à appréhender les contacts. » En retard il y a quelques années encore, le XV de France est désormais à la pointe. Ou à tout le moins au niveau des autres grandes puissances.
On n’en saura pas beaucoup plus pour l’instant. Toutes ces datas confinent, évidemment, au secret industriel. Question d’avantage concurrentiel sur le reste du monde. En revanche, il y a un vrai partage au niveau national, notamment dans la perspective de la Coupe du monde. « On a réussi à mutualiser la technologie pour l’ensemble des clubs pros pour faire en sorte que toutes les données GPS des entraînements des joueurs internationaux remontent à un niveau central, explique Julien Piscione. Que le joueur soit à Marcoussis ou dans son club, on sait ce qu’il fait au quotidien. »
De quoi aider encore plus Fabien Galthié à prendre ses décisions. Car c’est bien cela le but ultime de cette révolution technologique en cours : apporter un maximum d’informations au sélectionneur, à qui il revient en dernier lieu de mettre l’ensemble en musique avec son expertise. Si vous en doutiez, l’intéressé a tenu à terminer son intervention sur ce point, mercredi.
« Ce ne sont pas les chiffres qui nous dirigent, c’est nous qui dirigeons les chiffres. Ils nous aident à être plus intelligents, à mieux chercher avec efficacité des choix stratégiques de préparation. Mais c’est nous qui avons la main, assène-t-il. Pendant le match, je ne suis connecté à rien. Il n’y a pas un chiffre qui m’impacte quand je fais mes changements. Je regarde, j’écoute, je suis au cœur de l’environnement. On prend nos décisions à l’intuition, au savoir-faire. Notre intelligence prend toujours le pas, aidée par des outils fantastiques. » On n’aurait pas imaginé réflexion plus « galthiéenne » pour finir.
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