La France et le Danemark s’affrontent ce samedi au stade « 974 », qui doit son nom à l’indicatif téléphonique du Qatar et au nombre précis de conteneurs qu’il a fallu pour construire l’atypique enceinte située en front de mer, dans la zone est de Doha.
Le 974, comme on dit ici, fait partie des sept stades spécialement bâtis pour la Coupe du monde sur les huit utilisés, puisque seul le « Khalifa International Stadium », inauguré en 1976, a été rénové pour la compétition.
Au Qatar, les stades sortis récemment de terre sont tous un clin d’œil à la culture locale. Al-Bayt représente une tente, en respect à la tradition bédouine. Al-Janoub s’inspire des coques de bateaux de pêche perlière qui ont longtemps été utilisés le long des côtes. Al-Thumama met en avant le « kufi », le couvre-chef traditionnel de la région.
À Lusail, lieu de la finale, il faut y voir les éléments de la vannerie, l’art de tresser des fibres végétales. L’Education City rend hommage au design arabe et le stade Ahmad-ben-Ali est une ode au désert et la famille. Le 974, enfin, raconte le port voisin et l’histoire maritime du Qatar. « On est sur un récit, un roman national », analyse Kévin Veyssière, expert et professeur en géopolitique du sport.
Ces enceintes, estimées à plusieurs milliards de dollars, sont toutes magnifiques si l’on s’en tient à leur simple style architectural. Mais elles tiennent aussi leur lot de polémiques. Au moins 6 500 ouvriers étrangers seraient morts pour leur construction. De nombreuses ONG ont aussi fustigé l’empreinte carbone et l’émission de CO2 beaucoup trop élevée pour leur mise en service. « 2022 est l’année où l’on voit toutes les dérives du sport-spectacle, pointe Kévin Veyssière. Lors des JO d’hiver à Pékin, on a construit des pistes de ski dans des endroits où il n’y avait pas de neige. »
Concentrées dans un périmètre restreint, puisque le plus au nord d’Al-Bayt et celui le plus au sud d’Al-Janoub ne sont distants que de 65 kilomètres, ces enceintes sont plus ou moins facilement accessibles, en métro ou bus. Elles sont surtout bien plus que de simples lieux de supportérisme.
« Le Qatar a voulu des bijoux technologiques pour montrer son expertise dans la création d’infrastructures, explique encore Kévin Veyssière, qui poursuit sur la question de leur héritage. L’enjeu pour le Qatar est d’organiser d’autres compétitions sportives dans les années à venir. Des contrats ont déjà été passés avec la Coupe d’Europe de rugby pour que certains matchs puissent s’y jouer. » Le Qatar voit plus loin que le 18 décembre, date de la finale de ce Mondial. Et a les moyens de ses ambitions.
« C’est un peu comme s’ils avaient investi dans leur armée avec des avions ou des navires, image Raphaël Le Magoariec, spécialiste du sport dans le Golfe. Désormais, le Qatar peut développer sa politique sportive et s’imposer dans un projet même s’il n’y était pas à la base. Il peut dire, “vous avez des soucis ? On a la solution”. Par exemple, le Qatar accueillera l’année prochaine la Coupe d’Asie des Nations de football à la place de la Chine, qui s’est retirée à cause de la Covid-19. Ils gagnent ainsi beaucoup plus en influence. »
Une influence sportive et géopolitique qui s’étend au-delà de sa simple région. Le stade 974, précisément, est censé être démonté après la Coupe du monde pour être redistribué à un autre pays, plus dans le besoin. Sur son site, la Fifa le présente comme « le premier à être entièrement démontable. Son concept flexible permet de le reconstruire entièrement sur un autre site ou de construire plusieurs stades plus petits, à partir des mêmes matériaux ».
« Cela participe à cette volonté du Qatar d’être un acteur international global, dit Kévin Veyssière. C’est une prouesse technologique. Il ne faut pas oublier que c’est un État qui compte 90 % d’étrangers et seulement 10 % de nationaux sur une population de 2,9 millions d’habitants. Le Qatar se construit grâce à l’émigration et il veut s’ouvrir au monde. On parle d’une redistribution en Afrique subsaharienne, au Kenya ou au Rwanda, là où le Qatar a déjà aidé à mettre en place un aéroport international ». Le petit état de 11 500 kilomètres carrés souhaite s’imposer comme une plaque tournante mondiale, tant au niveau sportif qu’économique. Et sa nouvelle flotte de stades ultra-modernes est un rouage essentiel de son pharaonique projet.
La Fifa a revu la capacité des stades
L’annonce au micro d’un stade Al Bayt garni de 67 000 spectateurs dimanche soir lors du match d’ouverture a fait sourire. Parce que l’enceinte n’était pas remplie. Parce que, surtout, la Fifa annonçait une capacité de 60 000 places avant la compétition pour ce stade. Depuis, l’organisation a revu sur son site le nombre précis de sièges disponibles pour chaque stade. Al Bayt en contient donc 68 995. Le stade 974, où évoluera la France ce samedi, est passé de 40 000 à 44 089…