S’il fallait encore une preuve de l’immense confiance qu’accorde Fabien Galthié à Romain Ntamack, en voici une. Alors qu’il n’a plus disputé le moindre match officiel depuis le 11 septembre, date de sa blessure à la cheville en Top 14 face à Toulon, l’ouvreur toulousain a été désigné par le sélectionneur pour porter le numéro 10 face à l’Australie. Oh bien sûr, le choix n’est pas surprenant. Effectué au détriment d’un Matthieu Jalibert en forme ascendante, il se dessinait depuis le début du rassemblement des Bleus. « Romain a un métabolisme très rapide, a justifié le manager de la performance Thibault Giroud. Il ne lui faut pas énormément de temps pour revenir à sa forme optimale. »
Au même titre qu’Antoine Dupont, Romain Ntamack apparaît aujourd’hui incontournable à un an de la Coupe du monde. Avant le début de la saison, à l’issue d’un entraînement à Toulouse…
Au même titre qu’Antoine Dupont, Romain Ntamack apparaît aujourd’hui incontournable à un an de la Coupe du monde. Avant le début de la saison, à l’issue d’un entraînement à Toulouse, il avait accepté de livrer pour « Sud Ouest » sa vision de son poste.
Sauriez-vous définir ce qui est, selon vous, un match parfait pour un numéro 10 ?
C’est quand le jeu se déroule à l’image de ce que tu as prévu tout au long de la semaine : stratégiquement, dans l’occupation au pied, et offensivement lorsque tu ressens que tout se met dans l’ordre. C’est aussi quand les mecs sont à l’écoute. C’est ça, le match parfait. Quand un 10 bénéficie de l’avancée de ses avants et des coups de ses trois-quarts, il est dans un fauteuil : c’est un régal. Mais évidemment, ça ne se passe pas toujours comme ça…
Que ce soit sous le maillot de Toulouse ou celui de l’équipe de France, avez-vous déjà eu le sentiment d’atteindre ce niveau ?
On ne joue jamais le match parfait. Il y a toujours des petits grains de sable. Mais on en a été pas loin à plusieurs reprises… Contre les Blacks (40-25, novembre 2021), contre l’Irlande (30-24, février 2022), mais je me souviens aussi du match au pays de Galles en 2020 (23-27) : on avait fait quasiment tout ce qu’on souhaitait.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le fait de jouer 10 ?
Le fait d’avoir la mainmise sur le jeu et l’équipe. Tu ressens le fait d’être à un poste hyper important : l’équipe se repose sur toi. Même s’il est aidé par les leaders, le jeu et la stratégie sont portés par l’ouvreur. C’est un joueur qui doit être complet dans la vision du jeu, la technique, le jeu au pied et la défense. Il faut tout avoir pour être ouvreur.
Avez-vous un lien affectif particulier avec ce numéro ?
Pas spécialement. C’est plus dans la tradition française de porter aux nues le numéro 10 dans n’importe quel sport. Je pense que c’est depuis que Zidane l’a porté avec l’équipe de France qu’on le sacralise un peu (sourire)…
Y a-t-il des ouvreurs qui vous influencent encore aujourd’hui ?
Parler d’influence, non. Mais j’essaie de regarder ce qui se fait de mieux et ailleurs. Je m’inspire beaucoup des ouvreurs internationaux comme (Johnny) Sexton mais aussi (Beauden) Barrett. J’aime aussi regarder Marcus Smith, qui a un jeu différent, ou encore Dan Biggar. J’apprécie observer aussi ce qui se fait en rugby à XIII. Je m’en inspire, pas pour copier, mais pour tenter de nouvelles choses de temps en temps à l’entraînement et, parfois, en match.
Par exemple ?
Des passes ou des courses un peu différentes avec des positions venues du XIII. En fait, on essaie de prendre un peu tout ce qui se fait ailleurs.
Vous parliez de Sexton ou Biggar. Que leur emprunteriez-vous ?
Leur longévité ! Ils sont sur la scène internationale depuis des années, ils ont plus de 100 sélections, ils ont plus de 30 ans tout en étant au top niveau. En France, c’est du jamais vu. C’est inspirant, même si c’est encore loin devant moi.
Des ouvreurs vous ont-ils marqué lorsque vous étiez plus jeune ?
Comme tout le monde, des joueurs comme Dan Carter, Wilkinson ou même Matt Giteau avec l’Australie. Je me levais tôt le matin exprès pour les regarder. Lors du Super Rugby ou du Tri-Nations, je ne ratais pas un match. J’étais ébahi devant leurs prestations. Ils savaient tout faire : attaquer, plaquer, jouer au pied, traverser le terrain… Ils incarnaient le joueur de rugby dans toute sa splendeur.
Un 10 marquant, c’est forcément un joueur qui brille en Coupe du monde ?
Ce sont forcément ceux qui brillent dans les grands événements… Que ce soit lors d’une Coupe du monde, en phases finales avec leurs clubs ou dans le Six-Nations… Pour passer par la case « grand joueur », il faut briller dans les matchs qui comptent. Et ça passera forcément par une grande Coupe du monde l’année prochaine.
Lequel de ces joueurs vous a alors le plus marqué en Coupe du monde ?
Pour moi, c’est Carter en 2015. Il annonce la fin de sa carrière internationale juste après, mais il l’a disputé comme s’il avait 25 ans. Il traversait le terrain, il mettait les points de partout. Pour moi, il a survolé les débats. Il a d’ailleurs été élu meilleur joueur du monde cette année-là.
Les attentes que suscite le poste de numéro 10, ça ne vous a jamais effrayé ?
Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Ni même attardé sur le fait que j’étais jeune, attendu ou que tout le monde avait les yeux rivés sur moi. Depuis que j’ai 16-17 ans, tout le monde m’attend au tournant. On m’annonçait déjà comme l’ouvreur du XV de France lorsque j’étais adolescent. Ce sont des choses qui me passaient au-dessus de la tête. J’essayais juste de faire mon propre chemin et en gravissant les échelons les uns après les autres. De la pression, il y en aura forcément avant la prochaine Coupe du monde. Mais ce sera le cas pour tout le monde, pas uniquement pour le numéro 10.
Est-ce le fait d’être le fils d’un ancien international (Émile Ntamack, 46 sélections de 1994 à 2000) qui vous a poussé à vous protéger en adoptant cette distance ?
Je ne pense pas. Ça fait partie de mon éducation et de mon caractère de ne pas me mettre de pression. Je suis quelqu’un d’assez simple et tranquille. Forcément, je lis ce qui se dit tout autour (sourire). Avec les réseaux, on voit tout passer. Ceux qui disent qu’ils ne lisent pas, je pense que ce n’est pas vrai. Quand je vois quelque chose de bien, ça fait plaisir, quand je vois quelque chose de plus critique, je fais avec. Il faut avancer et ne pas rester sur ça. Mon entourage est aussi hyper humble, il n’attend rien de moi et sait que je garderai les pieds sur terre quoi qu’il arrive.
Tel père, tel fils 🇫🇷 🫶@RomainNtamack | @EmileNtamack pic.twitter.com/RsvJZkwEOI
Vous êtes souvent décrit comme étant analytique, presque froid. Trouvez-vous cela réducteur ?
Ça fait partie de ma personnalité. J’essaie d’être concentré sur le terrain : je ne passe pas mon temps à rigoler sur le terrain, j’essaie d’être le plus performant possible. Donc je ne souris pas trop, et on dirait que je fais la gueule (sourire). Mais en dehors, les gens qui me connaissent savent que je suis enthousiaste, souriant. J’aime m’amuser, rigoler.
Ce flegme ne constitue-t-il pas une force ?
Une force, je ne sais pas. En tout cas, je ne me force pas à ne rien montrer. Mais ça peut aider dans des moments difficiles sur le terrain de ne rien montrer à l’adversaire. Ça ne donne aucune piste pour me faire déjouer.
Rarement un 10, et plus largement la charnière que vous composez avec Antoine Dupont, n’a paru aussi installé depuis le début de l’ère pro. Comment expliquer une plénitude aussi précoce ?
C’est le résultat de la continuité. En club comme en équipe de France, c’est ce qui manquait aux charnières précédentes. Avant, dès qu’il y avait un mauvais match, on changeait l’un des deux ou carrément les deux. La confiance et les automatismes ne se créent pas comme ça. C’était compliqué d’en installer une dans ces conditions.
Depuis le début de son mandat, Fabien l’a bien compris. La charnière, comme l’ensemble de l’équipe, a très peu bougé : ça va plus vite aux rassemblements, on se connaît tous. Avec Antoine, j’ai la chance d’être à Toulouse et en équipe de France. Le fait d’avoir enchaîné des gros matchs mais aussi des moments difficiles, ça forge. C’est aussi ce qui nous permet de franchir les étapes ensemble.
Qu’est-ce que ça impose en termes de jeu de jouer avec un numéro 9 tel qu’Antoine Dupont ?
Rien. On arrive à bien se compléter. Cette saison, on a vu qu’Antoine était toujours à son meilleur niveau. Moi, j’essaie d’y rester aussi. On a réussi à trouver des solutions. Quand ce n’était pas Antoine, j’ai réussi à prendre la main derrière. Quand j’étais un peu plus bloqué, c’est lui qui parvenait à trouver des solutions. On se connaît par cœur, c’est facile de jouer avec lui.
Première semaine de préparation terminée 🇫🇷 @FranceRugby pic.twitter.com/mNUhxRJdNI
Il y a beaucoup de concurrence actuellement en 10 avec des joueurs tels que Jalibert, Hastoy ou Berdeu qui prennent des initiatives, qui sont rapides. Qu’est-ce que ça dit du poste selon vous ?
Je ne sais pas trop, mais on a une bonne génération. Je trouve qu’il y a toujours eu de bons ouvreurs en France. C’est juste qu’on ne leur a pas laissé le temps de s’exprimer en équipe de France. Plisson, Lopez sont des joueurs de très bon niveau, ils le prouvent aujourd’hui encore. On se plaignait auparavant de ne pas avoir de 10, il y en a maintenant beaucoup. C’est bien, ça tire tout le monde vers le haut.
Si vous deviez brosser votre propre portrait-robot et cibler vos marges de progression. Quelles seraient-elles ?
J’ai encore beaucoup de progrès à faire dans tous les secteurs de jeu. Pas forcément des gros, mais des détails. De la régularité sur certains gestes pour être plus constant même si je trouve que ma saison dernière est plus que complète. J’en suis très heureux. Il y aura toujours des choses à régler jusqu’à la fin de ma carrière.
Attention gros mot : vous sentez-vous installé à un an de la Coupe du monde ?
Non, pas du tout. Personne ne se sent installé en équipe de France. Le numéro et le maillot n’appartiennent à personne. La Coupe du monde, ce n’est que dans un an. Il y a plein de choses à faire avant.
Comment faire abstraction d’une telle ligne d’horizon ?
Forcément, on y pense. Tout le monde nous en parle ! Mais il y a encore une saison avant. Ça va passer par une grosse tournée avec des gros morceaux, un tournoi où on va être attendu étant les tenants du titre. Tout le monde nous voit favori, mais si on fait une tournée moyenne et un Tournoi moyen, on va vite se faire redescendre.