Ne venez-vous pas de traverser les semaines les plus éprouvantes émotionnellement de votre carrière ?
(Il rit) On va dire que oui. Émotionnellement, et physiquement aussi, hein ! Même si j’étais bien avec l’équipe de France, je suis très content de rentrer à la maison. Il faut profiter un peu quand même et avoir des nuits un peu moins longues (sourire).
(Il rit) On va dire que oui. Émotionnellement, et physiquement aussi, hein ! Même si j’étais bien avec l’équipe de France, je suis très content de rentrer à la maison. Il faut profiter un peu quand même et avoir des nuits un peu moins longues (sourire).
Comment avez-vous vécu l’incertitude qui a entouré votre participation au premier match face à l’Australie ?
On avait beaucoup échangé à ce sujet-là avec Fabien (Galthié) dès le début : sur la manière dont je voyais les choses, sur le moment où ça pouvait arriver. Ça avait été très clair. Je lui avais dit que ça me semblait important d’être présent dans ces moments-là. C’est vrai que c’était un peu délicat, parce que ça aurait pu arriver à tout moment. Mais finalement, c’est tombé entre guillemets au moment où il fallait (NDLR, dans la nuit du mardi au mercredi), sur le début de la semaine de préparation à l’Afrique du Sud.
Comment avez-vous fait pour ne pas vous disperser ?
Lors de la première semaine de préparation, j’avais fait partie des 14 joueurs libérés par le staff pour repartir à La Rochelle. On avait prévu de déclencher à ce moment-là, mais les conditions n’étaient pas favorables. On savait donc que ça irait probablement jusqu’au terme. Malgré tout, il était important que je sois disponible. C’est pour ça que je n’avais qu’une hâte, que le match contre l’Australie se finisse pour que je puisse rentrer. D’ailleurs, c’est moi qui ai amené le coup de sifflet final (NDLR, il gratte le ballon qui précipite la fin du match). C’est plutôt une belle anecdote.
La préparation d’un match international demande beaucoup d’investissement mental. N’est-ce pas délicat de l’aborder dans ces conditions ?
Oui. Mais avant l’Australie, j’ai quand même pu la préparer normalement. Et j’ai aussi fait la part des choses : j’ai été rassuré par le fait que ça devait normalement aller jusqu’au terme. Si c’était arrivé le samedi, avant le match, je pense qu’effectivement, je l’aurai vécu différemment…
Le staff vous a envoyé des documents pour que vous puissiez préparer à distance le match face aux Springboks. Comment fait-on pour s’y astreindre dans de telles conditions ?
On trouve le temps ! Entre le peu de sommeil qu’on a, on prend le temps sur une chaise d’hôpital de regarder une vidéo ou de prendre des baskets pour aller courir… Mais c’était plus de l’entretien que des séances de travail. On sort quand même d’une grosse préparation estivale, j’ai pas mal enchaîné en Top 14. Le rythme, je l’avais. Ce n’est pas le fait de couper trois jours qui allait poser problème. Et puis finalement, je n’ai pas joué trop longtemps (rire).
Vous êtes arrivé le vendredi à Marseille où l’équipe était depuis le jeudi soir. Dans quel état d’esprit ?
C’est une preuve de confiance sur ma qualité de joueur, mais aussi ma qualité d’homme et de sérieux. Ça fait plaisir, d’autant plus par rapport à l’histoire toujours un peu particulière que j’ai eue avec l’équipe de France : avoir été capé plutôt jeune et ne plus l’être pendant cinq ou six ans.
Effectivement, désormais, le XV de France attend Jonathan Danty pour jouer un match…
(Un peu gêné) Quand ils m’ont demandé si j’étais prêt à jouer ce match, après avoir discuté avec ma compagne, j’ai répondu oui. Si on se sent prêt, une sélection ne se refuse pas. Ça me tenait à cœur d’être avec les mecs et de continuer à marquer l’histoire du rugby français. J’ai fait partie du truc pendant 11 minutes exactement (sourire), après je l’ai suivi dans l’ambulance.
Vous êtes sorti sur blessure après avoir victime d’un déblayage dangereux de Pieter-Steph du Toit. Qu’avez-vous vu sur le moment ?
Je ne le vois pas vraiment arriver. Ou une demi-seconde avant qu’il ne m’impacte… Sur le moment, j’ai vraiment eu l’impression qu’il m’avait fendu, qu’il m’avait cassé la pommette. Les médecins ont tout de suite eu une suspicion de fracture. Moi, j’étais prêt à revenir en jeu. A priori, il y a un nerf qui passe à cet endroit, donc j’étais anesthésié. La sensation de douleur est revenue après, mais je ne l’avais pas à ce moment-là. Mais le doc m’a dit, non : « S’il y a une fracture, c’est beaucoup trop dangereux. » Il a bien géré ça.
2 Semaines. pic.twitter.com/B6HbVgQmlu
Rejouer face au Japon une semaine après un tel choc, ça a pu aussi surprendre…
J’ai revu l’image un paquet de fois. Pour voir tout ce qui se passait autour de l’action, la vitesse à laquelle il arrivait. J’ai du mal à comprendre comment il a pu ne pas m’apercevoir et ne pas trouver une autre solution que de me rentrer dans la gueule. Même si je sais que je suis les bras en l’air en train de gueuler parce que leur joueur rampe au sol, il aurait pu à la limite récupérer une pénalité juste en me collant au ballon. Mais bon… On savait que sur les phases de rucks, les Sud-Africains étaient peut-être les plus virulents au monde. Le docteur m’a dit que j’avais quand même de la chance. Une fracture est une chose, mais j’aurais aussi pu perdre un œil ou avoir une vertèbre déplacée. J’ai eu pas mal de contractures aux cervicales suite à ce choc.
La « frayeur » dont vous avez parlé à Toulouse. Elle est venue à force de regarder l’action ou était-elle présente sur le moment ?
C’est surtout en les revoyant. Trois centimètres à gauche, il aurait pu me péter le nez. Plus haut, il y avait l’œil, un peu plus bas, il pouvait me casser toutes les dents… La zone du visage, on la connaît.
À titre individuel, vous aviez fait un sacrifice pour disputer cette rencontre. Cela a-t-il nourri une forme de colère vis-à-vis de du Toit ?
Disons qu’une petite tape sur l’épaule, ou un petit mot comme « je n’ai pas fait exprès », ça aurait peut-être été mieux humainement plutôt que de le faire dans la presse. Mais on ne se connaît pas. Il m’a envoyé un message pour s’excuser, j’espère juste que ce n’était pas pour dire à la commission de discipline qu’il l’avait fait.
Antoine Dupont, pour une action spectaculaire mais moins violente, a écopé d’une suspension plus lourde que lui (quatre contre trois semaines). Le comprenez-vous ?
Je ne sais pas. S’il m’avait fracturé le plancher orbital, paralysé ou crevé un œil, j’aurais aimé savoir ce qu’il se serait passé… Pour un geste de nervosité ou un coup de poing, on prend plus désormais ! Il y a des barèmes, des défenses, des statuts… Même si ce sont des gestes qu’il faut surveiller, « Toto », lui, ne regarde que le ballon sur son action.
Revenons au sportif. N’êtes-vous pas installé à un an de la Coupe du monde ?
On ne peut jamais dire ça (rire). Disons que je suis dans une situation beaucoup plus favorable pour disputer la Coupe du monde qu’il y a quatre ou huit ans. Mais il y a avant cela des étapes personnelles et collectives. Le plus dur est de conserver ce niveau.
Ressentez-vous une forme de plénitude ?
Oui. Je me sens bien, libre. J’ai repris confiance en mes qualités, en ce que j’ai toujours su faire, mais sans avoir toujours le courage ou la lucidité de déployer sur le terrain. Je me sens peut-être à mon meilleur niveau.
Vous parlez d’objectifs individuels. Ils mènent forcément à la Coupe du monde ?
Il faut d’abord rester régulier en club. Après les tournées de novembre ou suite aux Tournois, généralement, c’est toujours délicat pour certains internationaux de se remettre la tête aux clubs. Mais il ne faut pas avoir ces passages à vide qui peuvent durer deux à trois semaines. Le but est d’être le plus régulier possible sur la saison qu’il me reste à jouer.
Vous allez potentiellement jouer ce week-end avec le Stade Rochelais. Après tout ce que vous venez de vivre, n’est-ce pas éprouvant ?
Moi, j’ai envie de continuer à progresser. Et c’est sur le terrain qu’on y parvient. Plus je suis sur le terrain, mieux c’est. Ça veut dire que je suis en bonne santé. J’aurai mes vacances la semaine d’après normalement. Pour en profiter et pour présenter mon fils à ma famille à Paris. Il va falloir que je souffle, mais ce match me permettra de reprendre mes marques en club avant les grosses échéances en Coupe d’Europe.