INTERVIEW Commentateur attitré du XV de France sur France Télévisions, Matthieu Lartot explique sa vision du métier dans une interview à « 20 Minutes »
Cela fait près de deux décennies que Matthieu Lartot (43 ans) commente des matchs de rugby sur France Télévisions, très exactement depuis un Angleterre – Italie du Tournoi des VI Nations 2003. Mais c’est en 2009 que le journaliste est devenu la voix du XV de France. Avant le choc contre les champions du monde sud-africains samedi soir à Marseille – « la seule équipe que l’équipe de France version Galthié n’a jamais rencontrée » rappelle-t-il, le binôme du consultant Dimitri Yachvili a confié à 20 Minutes la vision de son métier.
Qu’est-ce que ça change de commenter une équipe de France qui gagne ?
Ça change tout. J’ai connu les deux périodes depuis 2009. En 2010, il y a le Grand Chelem et derrière, la longue traversée du terrain, des moments très pénibles à vivre. Cela devient pesant de ne commenter que des défaites, même si parfois on les a qualifiées d’encourageantes. En fait, elles n’avaient rien d’encourageantes. Ce qui se dégageait de l’équipe était assez morose.
On fait ce métier en espérant accompagner une épopée et vivre de grandes choses avec notre équipe nationale. Aujourd’hui, ça change tout dans la dimension émotionnelle, dans les vibrations dans les stades, avec les sourires sur les visages des joueurs. Evidemment que l’équipe de France ne gagnera probablement pas tous ces matchs jusqu’à la Coupe du monde, mais on savoure l’instant.
Y a-t-il des phases de jeu que vous aimez particulièrement commenter ?
La plus chouette, c’est évidemment lorsqu’on s’approche de la terre promise, de l’en but. C’est ce qu’on a vécu samedi dernier avec l’essai de Damian Penaud. On est dans le « money time », on est complètement habité et transporté par l’énergie du stade. Il y a des matchs où on peut parfois s’ennuyer, ce qui a été le cas le week-end dernier avec des échanges de coups de pied, des phases de jeu assez rébarbatives.
Et puis il arrive qu’il y ait une étincelle. Damian Penaud a réalisé quelque chose d’assez hors normes. On rêve d’avoir ces actions-là à commenter, et elles ne sont pas si nombreuses. Le rôle du commentateur, c’est d’être à ce moment précis, de retranscrire l’émotion qui traverse le stade et de la restituer au téléspectateur qui n’a pas la chance d’y être avec nous.
Les phases de « ping-pong rugby » sont-elles les pires à décrire ?
Non. On essaie de donner les enjeux, notamment tactiques, de ces phases-là, qui peuvent paraître répétitives et sans intérêt. L’action que je redoute le plus, c’est la blessure. Je n’arrive pas à regarder les images de torsion. Quand un joueur « se fait » un genou ou une cheville, ça me glace.
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Souvent, la prise en charge des blessés graves prend du temps et vous êtes bien obligé de garder la parole…
Je passe une consigne au réalisateur : ne pas s’attarder sur ce genre d’images. C’est une information, mais pour moi il faut montrer un ralenti et un seul.
Y a-t-il une blessure qui vous a particulièrement marqué ?
J’ai eu la chance jusqu’à présent de ne pas avoir été confronté à des choses trop graves. Mais je me souviens du jeune Ezeala de Clermont qui avait été littéralement « électrocuté » sur le terrain face au Racing 92, dans un choc avec Vakatawa. Je ne commentais pas le match mais j’étais à l’Arena. Je n’aurais pas aimé me trouver derrière un micro ce jour-là. J’ai un fils qui joue au rugby. Je me mets toujours à la place des familles de joueurs qui regardent le match dans leur canapé et se posent 10.000 questions.
Jusqu’à récemment, journalistes et observateurs s’extasiaient devant un énorme plaquage. Est-ce que vos commentaires ont évolué en même temps que le débat sur les commotions cérébrales ?
Par le passé, nous, commentateurs, avons parfois un peu glorifié ce genre de choses. Je me souviens avoir commenté des matchs du Stade Toulousain avec Isitolo Maka qui était réputé pour foncer dans le tas et faire des dégâts sur ses percussions. On essaie d’être mesuré même s’il ne faut pas non plus renier ce qu’est ce sport, fait d’affrontement et de combat.
Ce que je regrette, et j’ai fait mon mea culpa à ce sujet, c’est d’avoir eu des formules très maladroites. Sur certaines commotions, j’avais imagé mon propos en disant par exemple que le joueur n’avait plus la lumière dans toutes les pièces. On est nombreux à avoir évolué là-dessus. Je suis beaucoup plus vigilant par rapport aux mots que j’emploie.
En rugby, il y a souvent des schémas préétablis sur les phases de jeu. Est-ce la même chose avec votre consultant ?
Ce qui est très compliqué pour nous, c’est que contrairement à nos confrères de Canal ou de beIN Sports, on ne s’adresse pas à un public d’aficionados. En Coupe d’Europe, c’est un peu moins vrai car on a un public plus averti mais quand ce sont les matchs de l’équipe de France, quand on fait des audiences comme lors du dernier France – Angleterre avec des pics à 10 millions de téléspectateurs…
On peut considérer qu’aujourd’hui, le public du rugby en France c’est une niche, entre 600.000 et un million de personnes grosso modo. Pour le reste, ce sont des gens qui regardent les matchs parce que c’est l’équipe de France qui joue, parce que c’est un événement historique comme le Tournoi des VI Nations… Il faut essayer de vulgariser, même si je n’aime pas trop ce terme-là, parce que le rugby a des règles très complexes et qu’il y a beaucoup d’anglicismes.
Je passe une consigne au consultant : expliquer systématiquement la règle même si ça peut nous être reproché par ceux qui suivent 30 matchs par an et qui savent ce qu’est un ruck. Mais ce n’est pas à eux qu’on s’adresse.
Vous aimez bien glisser des blagues de temps à autre. Est-ce préparé ou bien spontané ?
A l’époque de Fabien (Galthié), il y avait des potes qui nous envoyaient des listes de cinq mots à placer dans le match. Le journaliste au bord du terrain et tous ceux qui intervenaient étaient concernés et c’était à celui qui arrivait à prononcer le plus de mots. Ça a toujours existé. Thierry Roland, quand il commentait un match de l’équipe de France de foot, donnait au médecin qui entrait sur le terrain le nom d’un de ses potes.
Sur les jeux de mots, en revanche, il n’y a rien de préparé. Cela reste du sport, on est là pour passer un bon moment, pour essayer de faire passer des émotions mais aussi un peu d’humour. Le style peut déplaire à certains, peu importe, mais on ne s’interdit pas de « déconner » entre nous, à partir du moment où ce n’est pas excluant pour le téléspectateur. Les listes de mots, c’était un peu « private joke », donc on a arrêté il y a déjà quelques années.
Quelle expression aimeriez-vous laisser à la postérité, du type « le cochon est dans le maïs » ou « la cabane est tombée sur le chien » du duo Salviac – Albaladejo ?
Il y a aussi « Allez les petits » de Roger Couderc, qui est transgénérationnel et sans doute l’expression la plus percutante qui ait jamais été trouvée pour le rugby… Je n’ai pas d’expression toute faite. Une société m’a envoyé à la fin du Tournoi un cadre, avec l’une de mes phrases, et avec un message me disant que plein de gens voulaient l’avoir chez eux. C’était pour moi une phrase assez anodine, lors de la victoire complètement irrationnelle sur les Gallois lors du Tournoi 2021 (32-30).
Mon envie, c’est que les gens retiennent un grand moment d’un match qui les a marqués, et qu’ils se rappellent peut-être du commentaire qui va avec. C’est ça qui m’intéresse, plus qu’une phrase un peu sibylline qui resterait.
Quand l’équipe de France bat les All Blacks en novembre dernier (40-25), je dis « Adieu les défaites encourageantes, bienvenue dans la nouvelle ère des Bleus ». Ce n’est pas quelque chose que je ressortirai à chaque match, mais je pense que c’est le bon mot au bon moment, comme Thierry Gilardi lors du carton rouge de Zidane. Ce qu’a apporté Gilardi au commentaire sportif, et je m’inscris là-dedans, c’est d’essayer d’être le plus juste, avec la formule la plus percutante qui colle au moment que l’on vit.
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