Les sorties médiatiques de Fabien Galthié sont toujours méticuleusement préparées. Les armes du sélectionneur ? Sa désormais fameuse paire de lunettes à larges montures et, bien moins cosmétique, une élocution ciselée au service d’une base de données gorgée de statistiques en tête pour appuyer son propos…
Il y a eu recours en septembre sur le plateau de Canal+. Chiffres et graphique à l’appui, il avait exposé sa quête de « fulgurances ». Un mot-clé pour résumer un jeu fait d’accélérations pour gérer au millimètre le potentiel énergétique. Deux mois plus tôt, il avait déjà…
Il y a eu recours en septembre sur le plateau de Canal+. Chiffres et graphique à l’appui, il avait exposé sa quête de « fulgurances ». Un mot-clé pour résumer un jeu fait d’accélérations pour gérer au millimètre le potentiel énergétique. Deux mois plus tôt, il avait déjà gratifié les médias présents au Japon d’un décryptage comptable de la performance des Bleus aux côtés de Jérémy Chéradame, son « data scientist ».
"On cherche des fulgurances…" 💫🌠
"22 secondes"@FGalthie décortique les systèmes de jeu du #XVdeFrance et du "french flair" 🗣️ @FranceRugby
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Le petit exercice de communication – externe et interne – perce derrière la volonté de transparence. Ce qui ne la prive pas de pertinence observe Philippe Saint-André, manager de Montpellier et ancien sélectionneur du XV de France (2011-2015) : « C’est une façon de faire assez intelligente qui montre qu’ils sont à la pointe. »
« Le rugby est un sport de haut niveau dans lequel la communication est un facteur prépondérant, appuie Sébastien Piqueronnies, manager de la Section Paloise. Ça permet de capter l’attention des mecs, tu peux stimuler une croyance collective. »
S’il n’est peut-être pas dénué d’arrière-pensée, l’emploi des chiffres en dit beaucoup sur la place qu’occupent les statistiques dans le projet de jeu des Bleus. Depuis le début de son mandat, Fabien Galthié a déjà déclaré à plusieurs reprises avoir anticipé le nombre de coups de pied à taper, le fameux kicking-game, pour espérer l’emporter. Il a également régulièrement insisté sur les « KPI », les clés de performance collective qu’il fallait cocher pour espérer l’emporter au niveau international. Et il a minuté avec précision les séances de « ball in play » nécessaires dans la semaine pour rivaliser avec tel ou tel adversaire.
Dans son hôtel au Japon, en juillet dernier, le sélectionneur est allé plus loin en dévoilant d’autres règles. Celle dictant qu’il ne faut pas tenir le ballon plus de 22 secondes dans la zone des 22-22. Ou encore celle qui stipule qu’il ne faut pas commettre plus de quatre fautes dans cette même zone 22-22 sous peine de concéder une pénaltouche accouchant dans 70 % d’un essai. Une liste non exhaustive.
Par gourmandise, on pourrait toutefois ajouter un dernier exemple : celui de l’utilisation du jeu en « black ». Derrière cette appellation se cache tout bonnement un jeu d’agression au centre du terrain qui, selon Fabien Galthié, assure la victoire dans 85 % des cas pour peu qu’il représente 10 % des initiatives de son équipe. « On analyse beaucoup la « stat » et on la traite de manière collective, décryptait lors de cette master-class japonaise Jérémy Chéradame. Il n’y a quasiment pas de données individuelles livrées aux joueurs. Parfois, ça les surprend parce qu’ils sont habitués à en être nourris. Mais nous, ça nous importe peu : on est capable de voir qui joue bien ou pas. »
L’empilement de toutes ces données brutes peut se révéler déconcertant. Mais elles traduisent l’appétit du sélectionneur tricolore pour les statistiques. « Chaque manager a ses dadas », concède Philippe Saint-André avant de rappeler une évidence : « Mais il est vrai que les datas ont pris une place primordiale dans le rugby. » Traduction ? Aussi nébuleux qu’il puisse paraître, ce vocabulaire forge le langage courant dans les clubs de Top 14.
« On a des filtres très poussés aussi, pose Sébastien Piqueronnies. Nous travaillons aussi sur les pénalités concédées dans l’inter 22 mètres, même si on n’a pas le même ratio. De notre côté, il faut qu’on se rapproche vers 5 ou 6 : à La Rochelle par exemple, on en a relevé que deux. Et c’est la première fois de la saison qu’elles n’avaient pas d’incidence au score. »
« D’après ce qu’en disent les joueurs, on a à Montpellier la même utilisation de la statistique, prolonge Philippe Saint-André. Dépossession, jeu au pied, nombre de rucks dans notre camp ou dans les zones de marque… Il y a des choses vachement intéressantes. Les jeunes joueurs en sont d’ailleurs friands. Mais il faut faire attention à l’usage qu’on en fait : un mec qui se met juste à côté d’un ruck peut effectuer 15 plaquages dans un match sur des picks and go sans jamais se mettre en danger. »
Mais si Fabien Galthié pousse la logique encore plus loin, c’est parce qu’il a un atout supplémentaire en main : le temps. « En club, on ne conserve que la substantifique moelle. On ne garde qu’une idée qui percute, note Sébastien Piqueronnies. Lui a du temps pour préparer des sprints très intenses. Toutes les statistiques qu’il a pu cumuler, toutes les convictions qu’il a fait rayonner auprès de son staff et de ses joueurs, ça a un impact démultiplié sur le peu de semaines de compétitions internationales. »
Ces statistiques dessinent aujourd’hui le socle de la méthodologie à Marcoussis. Au point qu’elles puissent devenir prédictives ? « Le rugby est d’une logique implacable, relativise Philippe Saint-André. Ça ressemble aux échecs. » Sébastien Piqueronnies formule quant à lui un autre bémol en guise d’avertissement : « Attention : on ne parle de prédictif que par rapport à des données antérieures. Dans le sport de haut niveau, elles sont déjà obsolètes. »