Le rugby français en apnée : à moins d’un an du Mondial, le tribunal correctionnel de Paris rend mardi son jugement sur les accusations de corruption visant le président de la fédération Bernard Laporte et Mohed Altrad, patron de club du Top 14 et sponsor maillot des Bleus. À l’encontre des deux dirigeants, qui contestent les faits, l’accusation a requis trois ans de prison, dont un ferme, et a appelé à interdire pendant deux ans à Bernard Laporte d’exercer une fonction dans le rugby et à Mohed Altrad, PDG du géant éponyme du BTP, de gérer une société.
Trois autres prévenus, dont le patron déchu de l’organisation du Mondial-2023 Claude Atcher, seront eux aussi fixés sur leur sort mardi, dans ce dossier à tiroirs ouvert en 2017 qui provoque aujourd’hui encore de nouvelles secousses judiciaires. Poursuivi au total pour six infractions, Bernard Laporte joue, au-delà de sa situation judiciaire, son image et celle de la fédération française (FFR) qu’il préside depuis fin 2016 et qui est aujourd’hui tournée vers la prochaine compétition planétaire sur son sol (8 septembre-28 octobre).
Les prévenus « ont abîmé la probité entourant le rugby français », avait déploré le ministère public lors du procès en septembre. À la barre, l’ancien sélectionneur du XV français avait dû s’expliquer sur une série d’arbitrages rendus en 2017-2018 en faveur de son ami Mohed Altrad avec qui il venait de signer un contrat d’image confidentiel rémunéré 180 000 euros, sans contrepartie clairement identifiée.
Lié par ce que l’accusation considère comme un « pacte de corruption », Bernard Laporte aurait favorisé l’homme d’affaires, notamment en octroyant au groupe Altrad le tout premier sponsoring maillot de l’histoire des Bleus au terme d’un processus sinueux qui avait froissé les partenaires historiques du XV tricolore.
Le patron du rugby français serait également intervenu en 2017 à plusieurs reprises en soutien des intérêts du club de Montpellier, propriété de M. Altrad, notamment pour alléger des sanctions disciplinaires qui le visaient. Ce volet vaut au vice-président de la FFR Serge Simon d’avoir comparu pour « prise illégale d’intérêts ».
Face au tribunal, Bernard Laporte avait « rejeté en bloc » les accusations mais parfois peiné à justifier son contrat personnel avec Altrad, dont la mise au jour par la presse à l’été 2017 avait conduit le PNF à ouvrir une enquête. « Dans ma tête, il n’y a pas de conflits d’intérêts », avait soutenu l’ex-secrétaire d’État aux Sports de Nicolas Sarkozy. La défense s’était élevée contre un dossier instruit, selon elle, à charge par le parquet financier et reposant sur le « fantasme » d’un pacte corruptif.
Mardi, le tribunal correctionnel se prononcera également sur les poursuites visant Claude Atcher, récemment démis de la tête du comité d’organisation du Mondial-2023 pour des pratiques managériales jugées « alarmantes ». À la tête de sa société Score XV, Claude Atcher avait été recruté début 2017 par Bernard Laporte pour ficeler la candidature de la France au Mondial-2023, alors au point mort.
Familier de ce genre de dossiers, l’ancien rugbyman avait contribué à la victoire de la France mais aurait aussi, selon le PNF, indûment perçu des sommes de la fédération avec l’assentiment direct de Bernard Laporte, se rendant ainsi responsable d’un « recel d’abus de confiance ».
À l’issue de son enquête, le montant du préjudice pour la FFR avait été évalué à environ 80 000 euros, un montant qui avait fluctué au gré de l’audience. Ce flou avait hérissé Me Céline Lasek, l’avocate de Claude Atcher. « On aurait presque envie de sourire mais ce n’est pas drôle », avait-elle grincé. Le PNF, qui avait aussi épinglé Claude Atcher et son bras droit pour la gestion de sa société, avait requis à son encontre deux ans de prison, dont un ferme. Depuis le procès, son horizon judiciaire s’est encore assombri.
Début novembre, le comité d’organisation du Mondial-2023 qu’il présidait a été perquisitionné dans le cadre d’une nouvelle enquête ouverte début octobre par le PNF pour favoritisme, trafic d’influence corruption, après des signalements de l’administration. D’après l’Équipe, les enquêteurs s’intéressent notamment à de possibles irrégularités liées à la billetterie du prochain Mondial.