«On l’aurait suivi au bout du monde ». À quelques minutes d’intervalle mais aussi à une poignée de kilomètres de distance, Christian Darrouy, le Montois, et Claude Dourthe, le Dacquois, ont eu les mêmes mots ce jeudi soir pour évoquer la mémoire de Benoît Dauga, leur compagnon d’armes dans les rangs du Quinze de France. Chez les deux, l’émotion est la même mais au-delà de la tristesse, reviennent très vite les souvenirs heureux et les images de l’athlète exceptionnel, du capitaine courageux, du…
«On l’aurait suivi au bout du monde ». À quelques minutes d’intervalle mais aussi à une poignée de kilomètres de distance, Christian Darrouy, le Montois, et Claude Dourthe, le Dacquois, ont eu les mêmes mots ce jeudi soir pour évoquer la mémoire de Benoît Dauga, leur compagnon d’armes dans les rangs du Quinze de France. Chez les deux, l’émotion est la même mais au-delà de la tristesse, reviennent très vite les souvenirs heureux et les images de l’athlète exceptionnel, du capitaine courageux, du parfait gentleman qu’était ce deuxième ligne ou troisième ligne centre en avance sur son temps.
« J’étais de quelques années son aîné, j’ai même été son capitaine mais durant le tournoi comme en tournée, nous faisions souvent chambre commune. Benoît, c’était quelqu’un d’instruit. Il ronflait intelligemment », raconte Christian Darrouy, avec son habituelle pointe d’humour et de dérision. « J’avais une immense affection pour lui. »
« C’était mon grand frère en équipe de France », confie Dourthe. « Lui était toujours tranquille. Moi, beaucoup moins. Quand j’allais trop loin sur un terrain, il savait me calmer avec quelques mots. »
Le joueur les a profondément marqués. « C’était un athlète. Une fois que ses jambes étaient lancées, il allait très vite. J’étais, paraît-il, la référence, mais je suis persuadé que sur 100 mètres, il courait aussi vite que moi », assure l’ancien ailier (40 sélections, 23 essais). En plus, il était très adroit. »
« Je n’ai jamais connu de deuxième ligne comme lui », affirme Claude Dourthe. « Par sa vitesse, son rayonnement, ses qualités de sauteur en touche, ses facilités ballon en main, Benoît a été le premier des deuxième ligne modernes. Le premier des très grands. »
Natif de Mongaillard (Landes), Benoît Dauga a en fait commencé par le basket. Sur les conseils de son instituteur, il bifurque vers le rugby à Saint-Sever puis rejoint le Stade Montois. Durant le tournoi des Cinq-Nations 1964, il débute à 21 ans en équipe de France où il deviendra très vite incontournable, glanant 63 sélections jusqu’à sa retraite internationale, sans doute prématurée, en 1971.
Durant ses sept années chez les Bleus, ce joueur longiligne (1,95 m – 100 kg) sera plus souvent retenu en deuxième ligne (40 fois) qu’en numéro 8 (23 fois), son poste de prédilection. Mais ses prouesses lui valent d’occuper une place particulière dans l’imaginaire collectif. Denis Lalanne, la grande plume de l’Équipe, lui décerne un surnom, « le grand Ferret », pourfendeur des Anglais pendant la guerre de Cent Ans. À la fin des années 60, le chanteur Pierre Perret lui consacre tout un couplet de la même veine, dans sa chanson « Vive le Quinze ».
Il faut dire qu’à une époque où la vidéo n’existait pas et où la violence était consubstantielle du jeu, Benoît Dauga a plusieurs fois justifié sa légende de redresseur de torts. « Il n’y avait pas plus courageux que lui », témoigne Darrouy. « Je me souviens d’un match très dur en Afrique du Sud contre le Northern Transvaal. Ça tombait. Il est arrivé. Il a dit aux Sud Africains : vous voulez vous battre ? Eh bien on va se battre… Et tout à coup, ça s’est calmé. »
En 1971, à Durban, la bagarre qui oppose les Springboks aux joueurs du XV de France dure plus de cinq minutes. Et encore une fois, c’est Dauga qui met un terme à la bataille rangée en demandant à Frik Du Preez, le rugueux capitaine sud africain : « Vous voulez jouer ou vous préférez continuer ? » Les deux équipes reprendront le jeu, et la rencontre s’achèvera sur un match nul (8-8). Mais au début des années 2000, dans le club-house du vieux stade de Kings Park, était toujours accrochée une magnifique photo en noir et blanc de Benoît Dauga.
Car Benoît Dauga n’a pas seulement marqué le rugby français des années 60-70. Il s’est aussi fait une place dans l’histoire du rugby international aux côtés des Néo-Zélandais Colin Meads, Brian Lochore entre autres légendes de ce sport. « Benoît en imposait par sa stature, sa réputation. Et quand il avait le front qui se plissait, il fallait faire attention, se souvient Darrouy. C’était un mec fabuleux. Même quand nous allions en boîte de nuit, chez Castel, c’était le roi du bal. »
Alors qu’il s’apprêtait à être rappelé en équipe de France, Dauga fut victime d’un très grave accident du rachis en janvier 1975 lors d’un match contre le Stade Dijonnais. Opéré à Bordeaux, on a craint pour lui la tétraplégie. Après des mois de rééducation, il allait recouvrer ses moyens. Employé de la société Ricard, il est devenu le directeur du château La Voisine, le lieu de résidence de l’équipe de France jusque dans les années 2000, où des générations de jeunes internationaux mais aussi de journalistes eurent l’occasion de croiser un gentleman à la voix douce, un homme d’une infinie gentillesse.