L'ancien troisième ligne du RC Toulon signe "L'attrape rêves" aux éditions des Equateurs. Et nous dévoile le visage et la philosophie d'un grand voyageur, avide de ces rencontres qui font le sel de la vie.
Daniel Herrero, on vous connaît comme figure de la planète ovale. Pas forcément pour votre facette de grand voyageur… C'est vrai cet appétit est venu avec mai 68 ?
Le voyage, j'y ai déjà pris goût minot, avec le rugby. Quand j'étais benjamin à Toulon, aller jouer à Quarqueiranne, peut-être à Nîmes, pourquoi pas à Béziers, c'était déjà une aventure considérable. Mai 68, ça va être le déclencheur d'un goût du monde large. À cette époque-là, je suis joueur de rugby d'un bon niveau. Toulon fait la finale du championnat de France, mais je ne suis pas sélectionné, je suis sur le banc. ça me fait un choc émotionnel. Les turbulences sociales et affectives m'amènent à reconsidérer le grand ailleurs comme une hypothèse jouable. Che Guevara vient de mourir, il a été assassiné, je pars en Bolivie…
La rencontre, c'est votre moteur, dans les voyages, dans la vie…
Le goût des autres est activé chez moi très tôt. Je suis d'une famille nombreuse. J'ai la connexion avec un sport collectif. Je me sens nourri par les autres, plus par leur mode de vie que par ce qu'ils me racontent. Dès l'adolescence, je perçois et je ressens que la chose la plus satisfaisante pour moi, ce sont les copains. Ceux qui partagent le pain, l'effort. Et puis il y a une rencontre qui va me sensibiliser beaucoup, c'est celle avec le philosophe Michel Serres, autour d'une idée : si tu veux connaître les hommes, et si tu veux pouvoir un jour être acteur avec eux, il faut que tu les rencontres tous. Quand je sens mijoter en moi cette idée-là, à partir de là, je ne veux plus m'arrêter.
Dans "L'attrape-rêve", vous évoquez des situations dangereuses que vous avez vécues, avec un crocodile dans le delta de l'Okavango… ou un ours blanc sur un archipel norvégien. Et cet épisode, semble-t-il, remet en question un de vos piliers : le sens de l'amitié, lorsqu'il y a un danger. Ici, on se bouscule pour rejoindre le bateau de survie. L'amitié peut-elle voler en éclat quand il y a péril ?
En choisissant la narration, c'est une invitation à attraper les rêves humains. Pour moi, la narration amène à une réflexion presque philosophique. Elle impulse. Derrière une petite histoire, il y a un sujet et une percussion de sens. Là, quand tu sens le souffle chaud de l'ours blanc qui mesure trois mètres de haut, 100 kilos, qui est à quelques mètres de toi et qui court à 40 km/h, et que tu dois rejoindre le petit bateau de survie, qui est un dé à coudre dans une eau à 1 degré, il y a percussion d'idées… Je sais la force incommensurable de la richesse de la solidarité face au danger. Mais là, je le mets quand même en hypothèse. J'ai bien vu que pour rejoindre le bateau il y en a un ou deux qui m'ont piétiné et j'ai peut-être manqué moi aussi d'un peu de lucidité. Je n'ai pas de réponse à cette question. C'est la percussion permanente du sens moral du mot solidaire face à la dangerosité.
En 1997, après l'arrivée du Front national à Toulon, vous aviez écrit "Petites histoires racontées à un jeune du Front national". Ce jeune a grandi et le FN devenu RN a prospéré. Comment vous adresseriez-vous à ses adhérents aujourd'hui ?
C'est le fond existentiel de la vie qui se pose. En tout cas de la mienne. Si je suis un humain, je suis en interaction avec le milieu dans lequel je vis. Mais là, il y a quelque part dans le fond de la pensée humaine quelque chose qui amène à la ségrégation, au rejet, au refus, au piétinement, à la négation jusqu'à la destruction de l'autre qui peut s'activer chez l'humain et l'amener vers l'inhumanité. À l’époque, je m'étais demandé comment je pouvais intervenir sur le racisme, sur l'individualisme régressif, territorial stupide. Du genre, "Moi je suis du centre du monde et pas toi". Mais comme le chantent Bigflo et Oli, ça n'a pas beaucoup changé depuis… Je ne peux pas être effrayé par cette bêtise. Maintenant, je sais que pour changer ça, tu ne peux pas passer par le raisonnement. Qu'est-ce qui se passe dans le cœur des hommes pour que ça s'active ? Mais je suis de ceux qui pensent que chez les humains, il y a des choses bonnes. On peut parler des expériences de vie. Même chez les grands cons, il y a quelque chose de bon… Alors bon match.
Parlons rugby. Le XV de France va bientôt démarrer son tournoi des VI Nations (Italie-France, le 6 février, NDLR). Pensez-vous qu'elle peut enfin devenir championne du monde en 2023 ?
Est-ce que le XV de France, sur la terre de France, à partir de ce qu'elle a démontré ces trois dernières années, a un potentiel pour aller au terme de cette aventure considérable ? Est-ce qu'elle a un potentiel victorieux ? Oui, c'est incontestable. Le rugby de France est incroyablement costaud, sain, dans les différentes strates de la jeunesse, jusqu'au très haut niveau. Mais il a, bizarrement et depuis des lustres, la gestion, à son haut niveau, qui est fétide.
Vous parlez des affaires Laporte, Altrad, etc. ?
En fait, c'est depuis longtemps ! Il y a, au sommet, des choses qui ressemblent à du trafic, à des combines. Il n'y a pas de grande hauteur morale. Mais le rugby de France a une âme qui est suffisamment saine pour considérer que ça n'alterera pas la pratique. Et puis cette équipe de France est incroyablement solidaire, incroyablement courageuse, incroyablement costaude. Ce sont trois paramètres difficiles à acquérir ensemble. Et puis, il y a quelque chose de rare : ce sont quelques talents porteurs du potentiel exploit : trois ou quatre mecs – deux ou trois joueurs, un ou deux buteurs – qui pratiquement à eux seuls peuvent te faire gagner un match. Il n'y a pas une autre équipe qui a ça. Et où que tu sois, l'équipe de France a dans sa tête l'idée qu'elle peut tordre l'adversaire. Dans quelconque aventure, quand le thème de la confiance s'installe, tout est permis.
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Du grand Herrero. Merci.
Après Hollande et sa passion des jeunes, voici Herrero et sa passion des autres ! ML va nous sortir tous les bobos has-been . Par contre, toujours impossible de commenter les affaires "sensibles"… Le silence des pantoufles..