Les rapports d’activité se suivent et se ressemblent pour la société privée Stade Bordeaux Atlantique (SBA), qui exploite le stade Matmut. Dans celui de l’exercice 2021 qui sera présenté aux élus de Bordeaux Métropole le vendredi 25 novembre, SBA demande « une modification du contrat de partenariat pour éviter la perspective d’une cessation de paiements annoncée pour début 2023 ». Demande qui survient malgré des facilités de paiement déjà obtenues par l’exploitant auprès de la Métropole, propriétaire du Matmut, en 2020 et 2021.
Ce n’est pas une nouveauté : depuis l’inauguration du Matmut en mai 2015, SBA a toujours présenté des comptes déficitaires. Pour 2021, les pertes s’élèvent à 1,1 million d’euros. Le cumul des pertes du Matmut…
Ce n’est pas une nouveauté : depuis l’inauguration du Matmut en mai 2015, SBA a toujours présenté des comptes déficitaires. Pour 2021, les pertes s’élèvent à 1,1 million d’euros. Le cumul des pertes du Matmut depuis 2015 atteint 18,6 millions d’euros, presque trois fois plus que ce qui était prévu dans le modèle économique. Elles seraient plus élevées encore si la Métropole n’avait pas consenti à SBA un allégement de ce qu’il verse à la collectivité. Soit 2,3 millions d’euros pour l’exercice 2021 (après 2,4 millions en 2020), sans lequel le déficit aurait atteint 4,4 millions.
Le rapport d’activité révèle aussi que si le déficit s’atténue depuis dix ans, c’est surtout grâce à des éléments extérieurs : aides de l’État versées à SBA durant la période Covid, allégement de charges consenti par la Métropole, résolution d’un litige remontant à l’Euro 2016 de football (0,6 million d’euros). La question de la pertinence du modèle économique du stade Matmut revient aujourd’hui sur le tapis. Pour construire et exploiter le stade jusqu’en 2045, la Métropole verse à SBA une redevance d’environ 10 millions par an. Cette redevance représente 72 % du chiffre d’affaires de l’exploitant. Mais il y a une nuance de taille : le contrat de partenariat public privé (PPP) oblige SBA à reverser au propriétaire une partie de ses recettes commerciales, soit 4,5 millions par an.
Ce contrat très protecteur pour la collectivité est-il une impasse économique pour l’exploitant ? C’est la thèse défendue par SBA. « Les redevances contractuelles ne suffisent pas à couvrir les charges d’exploitations », dit clairement le rapport d’activité 2021. Pour soutenir son train de vie, le Matmut doit trouver d’autres recettes : concerts, « événements d’entreprise », congrès, matchs hors Girondins, etc. Or, cette activité s’est effondrée : 86 événements en 2021, contre 123 en 2019. Le chiffre d’affaires événements à suivi la même pente : 7,2 millions en 2019, pour seulement 1,5 en 2021. Toutefois, les perspectives sont meilleures : les concerts de Muse (juin 2023) et Mylène Farmer (juillet 2023) sont déjà complets, en septembre la Coupe du monde de rugby remplira cinq fois le Matmut. En 2024, les Jeux olympiques ont six matchs au Matmut, et il y aura deux demi-finales de Top 14 en 2025.
L’exploitant SBA noircit-il son bilan afin d’obtenir un rééquilibrage du contrat ? Certains le pensent. « Un déficit, ça s’organise », s’agace un élu sous couvert d’anonymat. Selon lui, Fayat et Vinci, les deux actionnaires de SBA, ont bâti le modèle, fait leurs calculs, pris leurs risques, ils doivent assumer. Les deux poids lourds du BTP en ont les moyens. C’était la position d’Alain Juppé, fermement opposé à toute renégociation du PPP. Un autre évoque une partie de poker menteur entre SBA et la Métropole et dit « attendre que l’exploitant nous prouve qu’il perd réellement de l’argent, car il y a plein de façons de présenter des chiffres… » Sans oublier qu’un contrat de PPP est toujours déficitaire durant les premiers exercices. Le modèle du Matmut prévoyait les premiers bénéfices pour 2025, pas avant.
En 2020, la direction de SBA a demandé l’activation de la clause de revoyure prévue dans le contrat, qui permet aux deux parties de faire un point sur les conditions d’exploitation. Le cabinet du président de la Métropole, Alain Anziani, confirme que ces discussions sont en cours. À ce jour elles n’ont pas abouti. Le rapport d’activité laisse transparaître une méfiance, côté Métropole. Il déplore ouvertement un manque de transparence dans les comptes soumis par l’exploitant. « SBA continue d’opposer le secret des affaires à Bordeaux Métropole, l’empêchant de diligenter des contrôles comptables classiques », est-il écrit. Il fait état de divergences entre les deux parties concernant « le manque de transparence sur du provisionnement et sur les marges, la finesse de la comptabilité analytique ».
Sollicitée par « Sud Ouest », la direction de SBA n’a pas souhaité répondre. Son président, Loïc Duroselle, préfère attendre d’avoir trouvé un accord avec la Métropole, c’est-à-dire un assouplissement du contrat. En principe, la clause de revoyure est censée aboutir fin 2022. Mais les échanges pourraient durer plus longtemps. Une rencontre entre Alain Anziani, président de Bordeaux Métropole, la direction de SBA mais aussi les deux actionnaires, Vinci et Fayat, serait prévue pour début 2023. « On n’est au courant de rien, tout se traite au 15e étage », ironise un maire de l’agglomération. Directement dans le bureau d’Anziani, qui a repris le dossier en main.
Reste enfin le volet politique de l’affaire. Face à SBA, Alain Anziani se montre plus souple que son prédécesseur Alain Juppé. Il semble ouvert à une modification du contrat de PPP, mais sans brader les intérêts de la collectivité. Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, n’est pas forcément sur la même ligne. Pour lui, le Matmut est « un fiasco financier, sportif et écologique », avec lequel ses actionnaires doivent se débrouiller.