Carlos Muzzio a retrouvé la Pro D2 contre Nevers jeudi 28 octobre et enchaînera ce vendredi 5 novembre à Bayonne. Le train-train quotidien d’un championnat qu’il fréquente depuis bientôt dix ans, à Tarbes (2012/2014) puis Mont-de-Marsan, mais dont il est descendu pour une escale inattendue.
Le 14 août dernier, en entrant pour les vingt dernières minutes du match contre l’Afrique du Sud, le Montois est devenu international argentin, une semaine avant de fêter ses 37 ans. Le tout sans jamais avoir évolué au plus haut niveau, puisque c’est en parfait inconnu qu’il avait atterri en France en 2007, à Saint-Denis, un club alors en Fédérale 3.
Vous êtes rentré à Mont-de-Marsan il y a trois semaines, commencez-vous à réaliser ce que vous venez de vivre ?
En fait, après la tournée, je suis rentré en Argentine, je suis revenu dans le club où j’ai commencé le rugby. Ils m’ont donné une plaque avec mon nom, mon numéro de Puma, et déjà, quand j’étais arrivé à l’aéroport, il y avait…
Le 14 août dernier, en entrant pour les vingt dernières minutes du match contre l’Afrique du Sud, le Montois est devenu international argentin, une semaine avant de fêter ses 37 ans. Le tout sans jamais avoir évolué au plus haut niveau, puisque c’est en parfait inconnu qu’il avait atterri en France en 2007, à Saint-Denis, un club alors en Fédérale 3.
Vous êtes rentré à Mont-de-Marsan il y a trois semaines, commencez-vous à réaliser ce que vous venez de vivre ?
En fait, après la tournée, je suis rentré en Argentine, je suis revenu dans le club où j’ai commencé le rugby. Ils m’ont donné une plaque avec mon nom, mon numéro de Puma, et déjà, quand j’étais arrivé à l’aéroport, il y avait 120 personnes qui m’attendaient, des gamins qui voulaient faire une photo : c’était les enfants de mes copains avec qui je jouais avant de partir en France. C’était un moment très fort.
Là j’ai réalisé un peu, mais c’est vrai que des fois, j’ai du mal, parce que tout est allé très vite. C’est quelque chose qui va me marquer à vie : j’ai joué l’Afrique du Sud championne du monde, deux fois les All Blacks. Je n’ai presque pas de mots, c’était magnifique.
Comment décririez-vous ces deux mois et demi passés en équipe d’Argentine ? Comme un aboutissement ?
Non, parce que je ne me suis jamais fixé d’objectif dans ma carrière, j’ai toujours travaillé pour être le meilleur possible. C’est arrivé et il fallait être tout de suite dedans. Il n’y avait pas trop le temps pour les émotions.
Mais avec un peu de recul, c’est un cadeau. Une récompense, peut-être, pour tout le travail fourni, tout ce que j’ai donné pour le rugby. C’est simplement quelque chose de merveilleux, j’avais toujours rêvé de jouer les All Blacks, de vivre un haka en vrai. Quand j’étais petit je me réveillais à 4 heures du matin pour regarder le Tri Nations, et vingt-cinq ans après, j’étais sur le terrain.
Quel a été le moment le plus fort ?
Quand on m’a donné mon premier maillot, avec ma cape, j’étais ému, je n’arrivais pas à parler. La remise des maillots, c’est un moment assez spécial chez nous, parce qu’on est très fier de le porter. Quand on te donne le maillot avec ton nom, tu réalises toute ta carrière depuis que tu as commencé, c’est très fort. Le premier haka aussi, quand on était tous les uns à côté des autres, c’était énorme, il y avait une énergie qui sortait de nous, c’était vraiment impressionnant.
En fait, cette aventure avait débuté en juin…
Oui, le directeur sportif des Pumas m’appelle, me dit qu’il y a des blessés, que des joueurs ont des problèmes pour venir en Europe à cause du Covid, donc qu’ils ont besoin d’un joueur pour la tournée (NDLR, matchs contre la Roumanie et le Pays de Galles).
Mais il me dit tout de suite que je ne vais pas jouer. Pour moi c’était déjà un honneur d’être avec ce groupe, donc j’ai dit oui sans hésiter ! Je me suis beaucoup donné, je me suis senti au niveau, et je pense qu’ils ont vu l’envie que j’avais, ça s’est très bien passé. Mais à la fin de la tournée, ils m’annoncent que je n’irai pas au Rugby Championship.
Les semaines passent et un jour je reçois un e-mail : « Félicitations, vous êtes convoqué pour le Rugby Championship. » Là, je suis tombé de mon canapé, j’ai envoyé un message au manager pour savoir s’il ne s’était pas trompé ! Mais cette fois je me suis dit, c’est très bien d’être dans le groupe, mais j’ai 37 ans, je veux jouer ! Ça s’est fait par mon comportement, mon investissement : je pense que ça les a marqués de voir un homme de mon âge tellement investi.
Vous êtes devenu le joueur le plus âgé à débuter en équipe d’Argentine…
Oui, et on m’a même dit que je suis le joueur le plus vieux à avoir débuté pour une nation du Tier 1 (les dix meilleures nations du rugby, NDLR) ! Ça aussi je ne réalise pas trop, mais que voulez-vous que je dise ? C’est arrivé, sachant que moi, je ne me sens pas vieux, des fois je me demande d’où je sors toute cette envie.
Justement, l’écart entre la Pro D2 et les matchs internationaux est abyssal : comment votre corps a réagi, à 37 ans ?
Quand j’ai su que j’allais jouer, j’avais deux semaines pour me préparer, mais en fait, je ne m’arrête jamais. Ce qui a été important dans ma carrière, c’est que je me suis toujours préparé pour être prêt à tout. C’est toujours cette petite séance de muscu en plus, cette petite séance de physique en plus, de plaquages… Tous ces « plus » ont fini par payer. Tu te dis, « finalement, tout ce que j’ai fait en plus, ça a servi ».
Contre les Blacks ça allait à 10 000 à l’heure, mais dans les contacts, les duels, ça allait. Après, quand tu es avec des joueurs comme ça, que tu as déjà un certain niveau, tu t’adaptes plus facilement vers le haut que vers le bas.
Vous êtes arrivé en France en 2007, comment auriez-vous réagi si on vous avait dit que vous alliez finir international ?
Dans mes rêves les plus fous, je ne l’aurais pas cru. Et comment imaginer que cela allait m’arriver maintenant ? Je l’ai dit à Juan Martin Fernandez Lobbe, qui est entraîneur adjoint des Pumas : « Tu imagines qu’en 2007 je te voyais à la Coupe du monde, et là, on est ensemble. »
Que faisiez-vous avant de quitter l’Argentine, à 23 ans ?
J’ai toujours joué dans mon club de San Patricio, en troisième division. Je faisais des études de droit, j’étais en troisième année, mais je voulais faire carrière dans le rugby. Quand j’ai dit à mes parents que j’arrêtais tout parce que je voulais être pro, ils m’ont pris pour un fou !
Et comment vous êtes-vous retrouvé à Saint-Denis, en Fédérale 3 ?
J’avais un ami qui habitait à Paris, qui travaillait dans une entreprise sponsor du club, qui voulait monter. Ils m’ont payé le billet d’avion, m’ont trouvé un logement et du travail, c’est comme ça que ça a commencé. Bon, on m’avait dit que le club était en troisième division, mais en fait c’était la Fédérale 3 ! Le niveau était vraiment bas, je me rappelle qu’à mon premier match, j’ai marqué sept essais, sachant que je jouais troisième ligne à l’époque !
C’est fou de se dire que vous jouez 3e ligne en Fédérale 3 quand vous arrivez…
(Il coupe) Et je finis pilier au plus haut niveau, oui ! C’est vrai que je pourrais écrire un livre avec ma carrière !
Que faisiez-vous à Saint-Denis ?
Je travaillais dans une agence de sécurité. J’ai joué deux saisons, parce qu’en fait je suis resté un an sans jouer à cause d’une blessure au genou. Je me souviens que ma mère est venue me voir à Paris, en me disant : « Rentre en Argentine. » Je lui ai dit : « Non, je veux réussir », et un mois après il y a Vannes (Fédérale 1) qui me contacte pour un essai.
Comme j’avais pris pas mal de poids, je me suis dit que j’allais passer pilier, parce que je n’arriverais pas à percer en 3e ligne. Le test à Vannes s’est bien passé, je suis passé pro à 100 % la deuxième année, puis Pierre-Henry Broncan m’a repéré et m’a fait venir à Tarbes.
Trois ans avant de partir à Vannes, c’est long : à quoi on s’accroche à ce moment-là ?
Oui, très long ! Je m’accrochais à moi-même, à mon objectif d’être pro. J’avais tout quitté, mes amis, ma famille, mon confort, il fallait que ça vaille la peine de rater des anniversaires, des mariages, des fêtes… J’étais très déterminé, ça a toujours été ma force.
Est-ce que vous vous dites que votre parcours peut être inspirant ?
Oui, en Argentine, mon histoire a été médiatisée, il y a beaucoup de gens qui m’ont écrit, ou même arrêté dans la rue pour me dire que ce qui m’est arrivé leur donne de l’espoir pour faire des choses qu’ils voulaient arrêter.
Je ne me rends pas trop compte, mais c’est vrai que s’il y a quelque chose qu’on peut dire, c’est que je n’ai jamais lâché. Il y a eu des moments durs, mais je me suis toujours accroché, et ça a toujours fini par payer, regardez ce que je viens de vivre !
Et maintenant ? Sur quoi on se projette quand on a réalisé son rêve ?
C’est vrai que ça peut être dur de retrouver la motivation. Mais là je l’ai retrouvée, l’équipe marche bien, c’est important. Et j’ai une tranquillité en moi que je n’avais pas avant : j’ai vécu des choses tellement riches, sportivement et humainement, que maintenant j’ai juste envie d’être là, de jouer, d’apporter à l’équipe ce dont elle a besoin.