RUGBY Les clubs sont appelés à partir de ce lundi à voter pour ou contre la nomination de Patrick Buisson, proche de Bernard Laporte, au poste de président délégué de la FFR, conséquence de sa condamnation dans le procès dit Altrad-Laporte
On l’avait presque oublié avec les déboires d’un autre président de grande Fédération, mais la semaine qui s’ouvre s’annonce cruciale pour l’avenir du rugby français. De l’ouverture ce lundi du vote des clubs concernant l’identité du président délégué de la Fédération française (FFR) à la tenue d’un comité directeur vendredi pour décider de la suite une fois les résultats connus, les quatre jours à venir vont dessiner les contours de cette année 2023 si importante avec l’accueil de la Coupe du monde.
Après la mise en retrait de Bernard Laporte, arrachée de haute lutte par la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera et le comité d’éthique de la FFR, les quelque 1.900 clubs de rugby du pays ont très exactement 72 heures, de midi pile ce lundi à la même heure jeudi, pour faire entendre leur voix. Il leur appartient de dire si oui ou non (ils peuvent également s’abstenir), ils valident la candidature de Patrick Buisson, proposée par Laporte lui-même pour le remplacer le temps de connaître le résultat de l’appel de sa condamnation à deux ans de prison avec sursis, prononcée en décembre.
Jusque-là vice-président chargé du rugby amateur, cet ancien dirigeant du club d’Uzès (Gard) présente le profil idéal pour l’équipe fédérale en place : à la fois membre de la garde rapprochée du patron et dont le nom n’est pas associé aux affaires en cours, à la différence de celui de Serge Simon, envisagé dans un premier temps pour la fonction.
Si le « oui » l’emporte, Buisson sera nommé et assurera la continuité de la présidence Laporte, dont la justice a estimé en première instance qu’elle a débouché sur un « pacte de corruption » avec l’homme d’affaires et président de Montpellier Mohed Altrad. Le brave homme, qui s’est dit « malheureux pour Bernard » mercredi dernier auprès de l’AFP assure pourtant qu’il ne sera « pas la potiche » de l’ancien sélectionneur du XV de France. « On a beaucoup parlé de ce procès mais l’institution n’a jamais été lésée », estime-t-il.
Si le « non » sort vainqueur, alors il appartiendra au comité directeur de la FFR de décider de la suite des événements. Deux choix s’offriront à lui : proposer un autre candidat, et le soumettre à ce même type de vote, ou alors tout remettre à plat avec l’organisation d’une élection générale, débouchant sur la désignation d’un nouveau président de la Fédération. Evidemment, c’est pour cette seconde option que milite l’opposition, emmenée par le collectif Ovale Ensemble.
Réuni autour de Florian Grill, candidat malheureux d’un cheveu face à Bernard Laporte en 2020, ce collectif est en guerre ouverte avec le camp au pouvoir. Lui qui dénonçait déjà avant le procès Laporte-Altrad un fonctionnement basé sur le copinage ne veut plus entendre parler de cette équipe dirigeante. Ovale Ensemble fait de ce vote autour du nom de Patrick Buisson un plébiscite pour ou contre Laporte. Avec les conséquences que cela implique de part et d’autre. Lors d’une conférence de presse organisée vendredi matin en compagnie de ses soutiens, Florian Grill a bien insisté sur ce point :
Le président de la Ligue régionale Île-de-France n’a pas de mots assez durs pour décrire l’état de délabrement dans lequel se trouve le rugby tricolore. « Le préjudice énorme en termes d’image » à cause du procès, « les finances qui vont dans le mur », « les règles de base d’une gouvernance saine et éthique bafouées en permanence », sans oublier « le désastre de l’organisation de France 2023 », mis en lumière par les révélations de L’Equipe sur le management de Claude Atcher, « nommé sans concertation ni aucune enquête préalable » de la part du président de la FFR, sont autant de rochers dans le jardin de Bernard Laporte. A quelques mois d’une Coupe du monde à la maison censée tamponner la domination de la France au niveau planétaire, « il est essentiel que cette Fédération qui part à vau-l’eau soit reprise en main », assène Florian Grill, qui appelle les présidents « à faire le choix de l’éthique ».
Donnez nous vos trois raisons de voter NON que vous considérez majeures parmi les 10 qui sont listées. Exemple : 4 – 2 – 6 ! #VoterNON #DireSTOP pic.twitter.com/KqYa7WqnCL
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La bataille s’annonce acharnée cette semaine entre les deux camps. Elle a même déjà commencé, à en croire le chef de file d’Ovale Ensemble, qui reconnaît « des doutes » sur la sécurisation du scrutin. Le Bureau Fédéral de la FFR a confié la surveillance du bon déroulement de ce vote électronique au comité d’éthique. Mais l’opposition se plaint de ne pas avoir accès à la liste effective des clubs votants (seuls ceux qui ont activé ce qu’on appelle leur « droit GPrez » pourront valider leur voix), et de ne pas savoir si la période blanche de trois jours avant le vote pendant laquelle personne n’a le droit d’appeler les dirigeants de clubs est en vigueur ou non. « Tout ça en dit long sur le défaut de transparence de ce vote », souffle Grill.
Malgré tout, Ovale Ensemble se dit « confiant » sur son issue. « On pense que le non a plus que le vent en poupe et va l’emporter », dit-on au sein du collectif, qui s’appuie sur les remontées de ses militants partout en France. Patrick Buisson ne voit pas les choses de la même manière. « On est confiants parce qu’on a un bilan exceptionnel, qui parle pour nous », clame ce dernier à l’AFP. Le discours à destination de la base est bien rodé :
« La division ne mène qu’à l’échec. Je pense que les clubs en ont un peu marre de tout ça. Ils ont besoin de calme. Il est plus l’heure de nous réunir, de nous rassembler et de pousser derrière notre XV de France que de vivre des échéances électorales. » Le bien-être et la réussite des Bleus de Fabien Galthié face aux « intérêts personnels » de Florian Grill, en somme.
Ce message trouve un écho en bas de la pyramide. « Je ne suis pas bien sûr qu’une nouvelle élection soit la solution à quelques mois d’une Coupe du monde, nous répond Frédéric Vaudo, président du Rugby Club Aubagnais (Fédérale 3). Il y a une équipe en place, avec un projet qui n’est pas seulement celui d’un ou deux hommes. Florian Grill se trompe de combat, lui qui est si légaliste. On a voté [en 2020] pour une liste et sur cette liste il y avait aussi Patrick Buisson. »
A cet argument s’ajoute celui d’un certain décalage entre les turpitudes au plus haut sommet de la FFR et le quotidien de milliers de petits clubs, dont la priorité est ailleurs. « Ça nous passe un peu au-dessus, admet ainsi Nicolas Chanat, dirigeant de Saint-Pourçain (Régionale 2). Ce n’est pas parce que l’un ou l’autre sera au pouvoir que ça va changer quoi que ce soit à nos difficultés, qui sont de fédérer sur un territoire pas très dense et de fidéliser des licenciés. Je m’occupe de mon club, et son quotidien n’est pas impacté par ce qu’il se passe plus haut. »
Bien qu’il regrette la mauvaise pub engendrée par les soucis judiciaires de Bernard Laporte, le dirigeant auvergnat ne veut pas d’une révolution de palais. « Il serait souhaitable que le oui l’emporte pour qu’on puisse passer à autre chose, lâche-t-il. Plus vite le dossier est clos, plus vite on pourra préparer la Coupe du monde, qui aura un impact positif pour l’ensemble des clubs en France. » Et tant pis si les bénéfices nets de la compétition, annoncés initialement autour de 200 millions d’euros, sont désormais attendus, officiellement, à 68 millions. Voire à 40, expliquait L’Equipe jeudi, à cause de dépenses encore sous-évaluées.
Bruno Carrère, président du Rugby Olympique de Pantin (Régionale 2), plaide quant à lui pour un nouveau départ. « Il y a des fautes qui ont été commises et je crois que pour racheter notre crédibilité, il serait bon que les clubs redonnent leur légitimité à l’ensemble du nouveau comité directeur, ce qui lui permettra de travailler sereinement », explique-t-il. Un point de vue qui ne vaut pas vote, toutefois, puisqu’il s’en remettra à l’avis majoritaire au sein du comité directeur de son club, qui devait se réunir ce week-end.
Quoi qu’en dise Ovale Ensemble, le résultat de la consultation paraît très incertain, comme celui de l’élection de 2020. A écouter les dirigeants des clubs que nous avons consulté, ils semblent en fait ne pas avoir très envie d’entrer dans ces querelles de gouvernance. D’où la difficulté d’anticiper ce qu’ils décideront au moment de voter. « C’est la façon dont on fonctionne dans nos clubs au quotidien, on fait la part des choses en permanence pour essayer d’avancer au mieux », éclaire Sébastien Papillon, le patron du Clamart Rugby 92 (Fédérale 2). En cette année « majeure » pour le rugby français, ce dernier milite pour une sorte de paix des braves, avant de rebattre le fer en 2024.
« C’est un peu vicié puisque ça ne sera pas un vote sur les capacités ou non de Patrick Buisson à diriger la Fédération, mais un référendum pour ou contre Bernard Laporte. Dans les deux camps, le mieux serait de faire front commun en mettant ses différends de côté. Réussissons 2023, on aura bien le temps de régler les comptes plus tard », plaide-t-il. Une idée louable, mais qu’on imagine irréalisable. Au lendemain de l’annonce du résultat du vote, vendredi, le comité directeur de la Fédération se réunira à Marcoussis, en présence d’Amélie Oudéa-Castera, qui s’est invitée pour participer aux discussions. Si le non est majoritaire, elles s’annoncent sanglantes.
Dans une lettre datant de fin décembre, Bernard Laporte avait annoncé qu’il soumettrait un nouveau nom à une nouvelle consultation « jusqu’au moment où les clubs légitimeront à la majorité ce président délégué ». « Je ne veux même pas envisager cette hypothèse », balaye Florian Grill, qui comptera sur la ministre des Sports pour pousser dans le sens d’une élection générale. Mais cela restera au bon vouloir de l’équipe au pouvoir. Le rugby français n’est peut-être pas près de sortir des ronces.
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