Le dernier chapitre de sa vie d’avant, il l’a vécu « avec concentration ». Cette finale de Pro D2 entre le Stade Montois et l’Aviron Bayonnais, le 5 juin (20-49), n’était pas seulement particulière pour ces deux historiques de l’Ovalie. Elle l’était tout autant pour le Charentais Laurent Cardona, qui arbitrait l’ultime rencontre de sa carrière au niveau professionnel après 14 intenses saisons au plus haut niveau. Pas vraiment par choix, plutôt par contrainte en raison de la limite d’âge de 45 ans (il les aura le 22 juin). « Je ne suis pas sûr de vraiment me rendre compte que c’était mon dernier match. Là où je vais le sentir, c’est au stage de début de saison. Je n’y participerai pas et ça me fera bizarre… Mais d’ici là, je ferai autre chose (sourire) ! »
Vous aviez pour objectif d’arbitrer les phases finales de Top 14. Étiez-vous déçu…
Vous aviez pour objectif d’arbitrer les phases finales de Top 14. Étiez-vous déçu ?
Non, je l’ai vécu comme une consécration. J’ai été l’un des deux arbitres choisis pour faire une finale professionnelle. Certes, c’est la Pro D2, évidemment que chaque arbitre et compétiteur veut le meilleur, que le Top 14 était un objectif. Mais la Pro D2, c’est un sacré honneur de l’avoir faite. À choisir entre un barrage de Top 14 et la finale de Pro D2, il n’y a pas photo. Il n’y a aucune déception, au contraire.
Petit retour dans les archives pour rendre hommage à @laurent_cardona qui dirigera son dernier match professionnel demain lors de la finale de ProD2 entre Mont-de-Marsan et Bayonne.#Part1 pic.twitter.com/cxt9kPdQKH
Vous avez arbitré votre dernier match de Top 14 à Toulon contre Pau (37-20, le 21 mai). Le monde du rugby se souvient des violentes critiques de Bernard Laporte et Mourad Boudjellal, alors manager et président du RCT, à votre égard en 2014. Finir à Mayol, c’était l’objectif ?
Je l’avais en tête depuis longtemps, je savais où je voulais faire mon dernier match de championnat. Il fallait que je referme ce livre, même si entre guillemets hors caméra, les réconciliations avaient déjà été faites. Mais je voulais que cela se fasse devant les caméras.
Comme une manière de boucler la boucle ?
Oui, pour que tout le monde comprenne que le livre était refermé. Il s’était ouvert en 2014, sur ce fameux match Toulon – Grenoble où Toulon perd sur une dernière situation. C’était le grand Toulon avec les Bakkies Botha, Jonny Wilkinson, une énorme équipe qui ne fonctionnait pas bien à l’époque. Grenoble était plutôt une équipe de bas de tableau, entraînée par Fabrice Landreau. Cette victoire de Grenoble avait mis le feu aux poudres et Bernard Laporte et Mourad Boudjellal avaient largement surréagi. Ils s’en étaient pris à moi en allant au-delà de l’arbitre, ils s’en étaient pris à l’homme. Cela m’avait perturbé, c’était parti dans la presse, dans le « Moscato Show » sur RMC… Mais quelques mois après, on avait mangé ensemble, c’était passé. Même Mourad m’avait dit « Laurent, c’est grâce à cette défaite que nous sommes à la veille de deux finales ». Il disait presque que c’était grâce à moi (rires).
« Pipasse », « nul », « incompétent », c’étaient des propos injurieux…
Je ne les ai pas bien vécus. À l’époque, je n’étais pas semi-professionnel, je travaillais à Renault à Marseille. J’étais arrivé à m’isoler et à me couper de ce déchaînement. Je me disais que je n’étais pas le meilleur arbitre du monde, mais j’étais le plus connu ! Et c’est ce qu’on retient, finalement (rires). C’était une vraie crise et il fallait que je trouve les opportunités là-dedans, celles d’être connu et reconnu. À l’époque où Mourad Boudjellal était très présent dans la presse et critiqué, il avait dit « tant qu’on parle de moi, en bien ou en mal, on parle de moi », j’avais adoré cette petite maxime. Au final, j’en ai retiré plus de positif que de négatif. Les gens m’en parlaient dans la rue, dans les stades…
Le président de la FFR Bernard Laporte a répondu à votre invitation à Toulon. Il vous a offert une pipe, un clin d’œil sympathique…
Je voulais que Mourad et Bernard soient là, mais Mourad était à l’étranger. Il m’a fait une petite vidéo, il m’a félicité pour ma carrière et m’a redit que grâce à moi, ils avaient été doubles champions d’Europe et de Top 14. Bernard, lui, est venu dans le vestiaire et m’a offert ce petit cadeau symbolique. Pour tout vous dire, c’est ce que je voulais faire, je voulais marquer le truc (sourire). Mais je n’ai pas osé, c’est le président de la Fédération (dont dépendent les arbitres, NDLR)… Et c’est lui qui l’a fait, j’ai trouvé ça très drôle. Je pense que l’épisode Toulon restera dans les mémoires. Maintenant, on n’arrête pas de me parler de cette pipe. Je la mettrai dans la boîte à souvenirs (sourire) !
🗨️ "Ça c'est rugby !"
Le beau cadeau de Bernard Laporte au néo-retraité Laurent Cardona 😏💨
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Quel regard portez-vous sur vos 14 saisons au haut niveau ?
Je suis fier, parce que je n’étais pas forcément prédestiné à faire cette carrière-là. Dans ce milieu, qui est un milieu difficile, c’est un vrai combat dans le groupe des arbitres. On est tous des compétiteurs, on veut tous le meilleur match. On s’entend globalement très bien mais quand tu es en compétition avec les autres, il y a forcément des frictions. Et puis il y a eu des jeux politiques, les patrons des arbitres ont changé avec le changement de présidence de la Fédé. J’ai un peu souffert de tout ça.
Pourquoi ?
Parce que le patron des arbitres qui a remplacé Didier Mené, Joël Dumé, ne me voyait pas vraiment d’un très bon œil. Heureusement, il n’est resté que trois ans à peine (2016-2019), mais j’ai eu trois ans difficiles. Tout ce qui était pourri était pour moi. Tu gardes la tête haute, tu te dis que tes performances vont être prioritaires, mais tu ne le vis pas très bien.
Vos amis vous appellent « Flash », vous avez du mal à rester sans rien faire… Maintenant que vous êtes retraité de l’arbitrage, vous avez certainement des projets professionnels en tête, non ?
J’ai vendu mes trois agences immobilières parce que « Flash » (le super-héros DC Comics, NDLR), au bout d’un moment, il perdait un peu de vitesse (sourire). J’avais du mal à tout faire et je m’apercevais que je ne le faisais pas bien. Avec le développement de « JL Bro Nutrition » (une société de compléments alimentaires qu’il a fondée avec son frère Jonathan, vice-capitaine de Barbezieux-Jonzac), il fallait que je fasse un choix et que je me reconcentre là-dessus. Mais maintenant que l’arbitrage se termine, je ne peux pas rester comme ça, en mono-activité. Toutes ces années d’expérience ne peuvent pas être jetées à la poubelle, je pense que j’ai des choses à communiquer et à transmettre. Mais j’ai aussi envie d’avoir une vie de famille un peu plus stable…
Allez-vous collaborer avec le club de Soyaux-Angoulême, comme cela a parfois été le cas par le passé ?
Non, le SA XV ne m’appelle pas et ne me demande pas d’analyse technique. Mais je vais au stade avec grand plaisir, je commente les matchs, je suis devenu consultant (pour « France Bleu » et « Charente Libre ») et je trouve ça génial. Le fait que le SA XV remonte en Pro D2, c’est l’opportunité pour la ville d’être exposée médiatiquement. Le Département et la Ville devraient plus se rendre compte de la chance d’avoir cet étendard. Aujourd’hui, le sport réunit tout le monde, toutes les classes sociales.
Participer à l’essor du sport au niveau territorial à travers un engagement politique vous plairait-il ?
(Il réfléchit.) Pourquoi pas ? Faire de la politique pour faire de la politique ne m’intéresse pas. Mais faire de la politique pour faire quelque chose de concret, avec un vrai projet à monter, est quelque chose qui pourrait me plaire.