Après avoir assisté à la victoire bonifiée contre Toulon dans les tribunes – « je me disais que ça devait être irréel d’être sur le terrain » –, puis à la défaite rageante à Toulouse en tant que joueur supplémentaire, Kyle Hatherell était aux premières loges de la claque reçue contre Pau (21-38) le 29 octobre. Tout sauf une partie de plaisir, bien sûr. Mais le 3e ligne sud-africain a de quoi relativiser et apprécier, malgré tout, l’aspect « génial » de jouer devant le public maritime.
Il y a encore un mois, le quotidien de Kyle Hatherell n’était pas simple, dans l’attente d’un visa qui ne venait pas : « J’étais inquiet. La Rochelle m’avait accordé beaucoup de confiance, je voulais lui montrer à quel point je voulais la rejoindre. Les deux dernières semaines étaient très stressantes, je n’ai pas beaucoup dormi… Quand les papiers sont arrivés, j’en ai presque pleuré de joie… »
Un épilogue heureux. Car comme ses collègues de Worcester et les joueurs des Wasps, il a vécu la banqueroute d’un club plombé par les dettes. « Il y avait des rumeurs en fin de saison dernière mais nous n’avons rien vu venir. Cela a été un choc pour nous, les joueurs étaient mis au courant en même temps que le public. C’étaient des jours sombres, confie-t-il. J’ai eu la chance d’être contacté par La Rochelle, j’étais très reconnaissant. Pour ma famille, pour moi, je ne pouvais pas rater cette opportunité de rejoindre un club aussi incroyable. »
« Parfois, les agents aiment dire « on a des contacts » sans que cela ne fonctionne. Là, quand on m’a dit « La Rochelle veut te parler »… On a eu une visio avec Robert (Mohr, le directeur sportif, NDLR) et Ronan (O’Gara, le manager), c’était surréaliste », rit-il, pas loin d’être encore incrédule. Pourtant, il devrait être habitué aux retournements de situation lui qui, à 27 ans, ne compte que trois saisons complètes dans le rugby pro dont une seule, la dernière, en première division.
« J’ai commencé à 12 ans, à l’école, je jouais ouvreur mais je n’étais pas parmi les meilleurs même si j’ai rejoint l’académie des Sharks. Rien n’est venu après ça. Je travaillais pour une entreprise spécialisée dans l’Internet. Un jour, un mec avec qui je jouais aux Sharks m’a demandé si je voulais jouer au Royaume-Uni, alors que nous n’étions pas vraiment amis, c’était un peu étrange, pouffe Kyle Hatherell. J’ai donc rejoint Marr, en Écosse (au sud-ouest de Glasgow, NDLR). Là-bas, je bossais à plein temps dans une usine de produits chimiques… Après une saison, j’ai été contacté par Jersey pour jouer en Championship (2e division anglaise, NDLR). Après deux ans et le Covid, j’ai eu la chance d’aller à Worcester (à la fin de 2020-2021, NDLR). »
Le tout en tant que n° 4, 6 ou 8. « J’ai arrêté de jouer ouvreur à 17 ou 18 ans. J’ai grandi assez tard (il mesure désormais 1,93 m pour 114 kg, NDLR), avant j’étais petit, je n’aurais jamais survécu en tant que 3e ligne (rires). Un jour, notre n° 8 était malade, le coach a demandé qui voulait le remplacer. Comme j’avais l’habitude de parler aux avants et de leur dire qu’ils n’étaient pas bons, ils m’ont invité à jouer avec eux, rit-il. Après, le coach m’a dit que je ne jouerais plus jamais dix… »
Aujourd’hui, le voilà donc au sein du pack champion d’Europe, installé au sein de l’Apivia Parc. « La Rochelle a été ma bouée de sauvetage. Je ne sais pas si je suis plus mature, je pense surtout avoir une autre appréciation de la vie de rugbyman professionnel. Bien sûr, ce n’est pas aussi simple que ce que beaucoup imaginent, mais en même temps, j’ai travaillé dans le vrai monde, et j’aime vraiment ce que je fais, je vis mon rêve, que je ne peux pas comparer avec une usine de produits chimiques (sourire). »
Et s’il est toujours en contact avec ses anciens partenaires de Worcester, on devine une certaine pudeur : « Je parle toujours avec eux mais c’est un peu différent pour moi, parce que je n’ai pas tout perdu. Je crois que l’on est 12 ou 13 à avoir retrouvé un club sur 38… Il y a quelques mois, tout allait bien, certains venaient juste d’avoir des enfants, d’acheter une maison. C’est dur… » Aussi, le sosie presque officiel de Quentin Lespiaucq – ce que lui a fait remarquer Romain Sazy dès son arrivée – est très heureux d’être ici et de rejouer au rugby après quatre mois de tergiversations. « Petit à petit, les choses reviennent. Les gars m’aident beaucoup. Je suis excité d’être ici, j’ai hâte de progresser et gagner en expérience. »